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Galaad et le Roi Pêcheur

Galaad et le Roi Pêcheur

Titel: Galaad et le Roi Pêcheur
Autoren: Jean Markale
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dragon n’était autre que le fruit de l’inceste commis, quoique à son insu, avec l’une de ses sœurs. Et les paroles de Merlin résonnent encore à ses oreilles : « Sache aussi, roi Arthur, que tu ne survivras guère au bonheur de ce grand jour, car le dragon que tu as vu en rêve causera ta perte. » Arthur ne peut donc se bercer de ses propres espérances : la réussite triomphale de la quête sera le signal inéluctable de son déclin personnel et de sa fin tragique.
    Car il y a toujours une contrepartie : le pouvoir n’est que la maîtrise provisoire d’une œuvre perpétuellement remise en cause parce qu’elle se manifeste toujours différemment selon les temps et les espaces. Arthur, en tant que roi, en tant que mainteneur d’un équilibre instable entre forces créatrices et forces destructrices, est seulement le pivot d’un jeu dont il ne connaît pas les règles. Ces règles, il les subit, ou plutôt les supporte, au sens étymologique du terme. À bien y réfléchir, Arthur, fils biologique du roi Uther Pendragon, est une pure création de Merlin. Merlin seul connaît les règles du jeu. Lui seul place sur l’échiquier les pièces en fonction de la lecture qu’il a faite du grand livre des destinées. Privé de la présence matérielle de Merlin, Arthur n’est rien d’autre que l’instrument privilégié des volontés divines révélées et mises en œuvre par le démiurge – à savoir l’ambiguïté faite homme, simultanément blanc et noir, diabolique autant que céleste, le druide primordial hors duquel rien n’est.
    Or voici que, seul susceptible de lire dans les étoiles le chemin tracé par le doigt de Dieu, Merlin va intervenir, une fois de plus, dans le destin des hommes. Il sait bien que, sans les prodiges qu’il suscitera, rien ne pourrait être accompli, tant les hommes, prisonniers de leur sensibilité, ont besoin d’images concrètes pour comprendre le sens de leur propre vie. Depuis longtemps, Merlin a fourni le code grâce auquel Arthur et ses compagnons peuvent s’engager sur la voie périlleuse qui mène la forteresse du Roi Pêcheur. Mais si le décryptage des signes ne pose aucun problème, l’itinéraire n’en demeure pas moins masqué derrière les brumes de l’indécision et de l’ignorance. Le rôle du prophète n’est pas de tracer un parcours initiatique ; il revient aux participants eux-mêmes, en vertu de leur libre arbitre, de décider par quels chemins et quels moyens ils atteindront le but proposé. Une fois accomplie sa tâche de provocateur, Merlin repartira une fois de plus s’enfouir au plus profond de sa tour d’air invisible, non sans lorgner d’un œil parfois goguenard les maladresses de ceux qu’il a envoyés vers le Graal.
    Mais, au fait, en quoi consiste la quête ? Si l’on s’en tient à la lettre, c’est-à-dire aux récits de Perceval et Gauvain, il s’agit, en posant certaine question, de guérir le roi blessé et de redonner prospérité à son royaume malade. Quant à la question, elle concerne tout autant la mystérieuse Lance qui saigne que la coupe non moins étrange d’où émane une lumière prodigieuse. Merlin a eu beau fournir bien des détails au sujet du Graal, la plupart des chevaliers ignorent quelle est la nature de celui-ci et ce qu’il contient réellement. D’ailleurs, à ce propos, les versions divergent : pour l’auteur anonyme gallois de Peredur , le Graal est un plateau contenant une tête d’homme coupée et baignant dans le sang ; pour Wolfram von Eschenbach, c’est une pierre tombée du ciel sur laquelle une colombe dépose une hostie chaque vendredi ; pour les auteurs qui suivent Robert de Boron, c’est un calice où Joseph d’Arimathie a recueilli le sang du Christ avant de l’emporter jusqu’au cœur de l’île de Bretagne, en l’énigmatique Avalon qu’on identifie à Glastonbury ; pour l’auteur de la quête cistercienne, c’est l’écuelle dans laquelle a été mangé l’agneau pascal, lors de la Cène. Que de contradictions ! Et la lance ? Est-elle, comme on le prétend, celle avec laquelle le centurion Longin a percé le flanc de Jésus sur la croix ? Cela paraît douteux, surtout si l’on comprend le nom de Longin comme dérivé d’un mot qui signifie « longueur » et, par association, « lance ». Il est bien certain que si Gauvain avait percé le secret de la Lance qui saigne, toute autre quête du Graal eût été inutile, et les aventures eussent
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