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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch
Autoren: Jean-Pierre Charland
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pitoyable qu'il ne l'aurait pas embauchée pour répondre à la clientèle de son commerce. Et voilà qu'il entendait lui confier ses enfants !
    Les joues en feu à cause de l'examen auquel elle se trouvait soumise, Elisabeth sentait des émotions diverses l'assaillir. La honte d'abord pour son piètre accoutrement, car l'homme ne pouvait dissimuler le mépris que sa vue lui inspirait. Puis la perspective de toucher autant d'argent, malgré son indifférence affichée, la rendait fébrile. Les jeunes institutrices recevaient cette somme pour s'occuper d'une classe peuplée de plus de trente enfants. Avec cette pitance, logées, elles devaient réussir à se vêtir et se nourrir. Encore un peu, et elle se serait trouvée riche.
    Après tout, ce purgatoire d'une année ne serait peut-être pas si difficile.
    Des pavés inégaux de la Haute-Ville, la voiture était passée aux rues sans revêtement, poussiéreuses par beau temps, rapidement boueuses les jours de pluie, de la Basse-Ville. Au coin de la rue de la Couronne, Grosjean tira sur les guides pour engager le cheval dans la rue Saint-Joseph. Par la fenêtre découpée dans la portière, Elisabeth regardait l'alignement des commerces, dont quelques-uns s'élevaient sur plusieurs étages. Les plus modestes offraient des devantures de brique, les plus cossus, de pierre.
    Quelques instants plus tard, la voiture s'arrêta devant l'établissement le plus imposant, avec ses six étages généreusement éclairés de grandes fenêtres découpées dans la pierre. Tout en haut, sculptés dans ce revêtement, les chiffres 1890 indiquaient l'année de la construction de l'édifice. Autour du toit, une balustrade de fonte ajoutait une touche décorative. Cette grande bâtisse jetait son ombre sur l'immense église Saint-Roch, située de l'autre côté de la rue plutôt étroite.
    — Venez, c'est ici, dit Thomas Picard.
    La jeune fille n'aurait pas pu se tromper, de toute façon. Le patronyme s'étalait en grandes lettres noires sur fond blanc au-dessus de la porte, empiétant de chaque côté de celle-ci au-dessus de grandes vitrines.
    Docilement, Élisabeth suivit le maître des lieux. De chaque côté d'une allée centrale, la marchandise s'amoncelait sur des présentoirs. Chaque «rayon» proposait un type particulier de biens, des meubles à la vaisselle, en passant par les chaussures et le tissu vendu à la verge. La grande innovation cependant consistait en vêtements de confection, proposés en différentes tailles, afin que tous les clients y trouvent leur compte. A la tête de chacun des rayons, ou «départements», se trouvait un gérant. Celui-ci dirigeait une petite équipe de vendeuses, la très grande majorité d'entre elles âgées de moins de vingt ans. Seul le rayon des vêtements et des chaussures pour hommes embauchait des vendeurs, de même que ceux des meubles et des articles pour fumeurs. Tout le long du trajet jusqu'aux portes de l'ascenseur, les employés murmuraient un « Bonjour monsieur Picard » à la fois respectueux et craintif. Les plus soumises parmi les femmes esquissaient même une mauvaise imitation de révérence. Le commerçant répondit aux premières d'un signe de tête, puis il se lassa; les autres ne profitèrent pas de cet honneur.
    Elisabeth ouvrait de grands yeux sur cette abondance de marchandises. Surtout, elle levait un regard à demi effrayé vers le plafond, d'où pendaient des ampoules à incandescence. Pour la première fois, la magie de la fée électricité s'imposait à elle. Dans cet édifice relativement étroit et profond d'au moins quatre-vingts pieds, même en plein jour, les vitrines donnant à l'avant sur la rue Saint-Joseph, et à l'arrière sur la rue DesFossés, ne suffisaient pas à chasser la pénombre.
    Son nouvel employeur, pour des raisons pratiques mais aussi pour signifier à tous qu'il entendait plonger sans hésiter tête première dans le vingtième siècle bientôt là, clamait sa modernité avec ces douzaines de lumières électriques !
    La jeune fille n'était pas encore au bout de ses surprises : un garçon d'une douzaine d'années, affublé d'un uniforme d'un rouge criard, ouvrit une porte couverte d'une feuille de cuivre en saluant, lui aussi, le grand patron. Un moment plus tard, dans un petit cagibi aux parois métalliques soigneusement polies, Picard précisa:
    —    Au troisième.
    —    Oui, Monsieur.
    Le garçon actionna un levier, la petite cage s'éleva dans un cliquetis
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