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Fatima

Fatima

Titel: Fatima
Autoren: Marek Halter
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Amr’Nufsya. Ceux de Mekka le connaissent. Il ne faut pas se fier à son apparence, qui est faite pour tromper les démons…
    Otba ibn Rabt’â fut interrompu par celui qu’il présentait. Amr’Nufsya venait de se jeter devant Muhammad, agitant dans la pénombre les pans de ses capes, tel un oiseau peinant à trouver son envol. Avec soulagement, Fatima vit Abdonaï, tout aussi vif et le poignet de cuir dressé, venir se placer devant son maître.
    La voix nasillarde et puissante du poète explosa jusqu’au-dessus des torches :
    — Je t’ai écouté, Muhammad le Fou ! Par Al’lat, la Grande Belle et Toute-Puissante, je t’ai écouté, écouté, écouté, Muhammad le Démon, Abu Qasim, quel que soit le nom que l’on te donne. Là où tu as les pieds, ici même devant notre sainte Ka’bâ, je t’ai écouté jusqu’à ce que mes oreilles et ma tête n’en puissent plus. Et je sais ! Toi, tu ne vas pas voir les djinns. Toi, tu ne vas pas danser en pensée dans le désert. Toi, les démons, tu leur mords la langue pour avaler leurs mots. Oh que oui, toi, ibn ‘Abdallâh, toi, tu leur trais la mamelle comme leur nouveau-né ! Oh que oui, par toutes les étoiles de la nuit et la fin des aubes clémentes, je le dis, Muhammad le Démon est leur bouche, aux terribles, aux impies, à ceux qui forniquent avec l’enfer ! Pia, pia, pia ! Il parle, il parle, mauvais poète et bouche de démon. Je le dis, je le sais. Jamais de sagesse et toujours de la colère. Jamais de beauté, toujours de la menace ! Exécrables poètes sont les démons. Je le dis, moi, Amr’Nufsya, sha’hir de Mekka. Je le sais !
    De nouveau Amr’Nufsya agita ses capes avant de bondir en retrait, comme pour se mettre sous la protection du poignard d’Otba ibn Rabt’â. Les rires et les cris saluèrent son discours. Le spectacle qu’offrait Amr’Nufsya était toujours très apprécié, et il n’était pas à douter que, dès l’aube prochaine, on se répéterait ses saillies dans les cours des maisons.
    Gorge nouée et paumes douloureuses à force de se crisper sur les tranches coupantes du tronc, Fatima fixait son père et les trois mauvais qui lui faisaient face. Elle aurait voulu entendre la voix de Muhammad, mais celui-ci ne répondit à la fureur d’Amr’Nufsya que par l’immobilité et le silence. Alors Abu ‘Afak, le vieux poète de Yatrib, leva sa canne pour faire taire les cris.
    — Amr’Nufsya a dit ce qu’il sait, et moi je le dis aussi : ibn ‘Abdallâh est un mauvais poète. Pourquoi ? Parce qu’il ne sait rien de la beauté de notre langue. Parce que ses mots se couchent dans nos coeurs comme les bulles de poussière dans l’acier d’une nimcha. Parce que ses phrases voudraient fendre l’air et se brisent au moindre choc. Parce qu’il ne sait rien des temps passés. Parce que son ignorance est celle des boucs tenus dans les enclos. Il n’aime que calomnier, insulter et fulminer. D’où vient l’arrogance de sa bouche ? Du grand orgueil des ignares. Il se prétend messager d’un dieu qui serait la mesure unique de toute chose quand le monde va et vient entre le vrai et le faux, le visible et l’ignoré, le sang de la naissance et l’écarlate de la mort. Il ne sait pas chanter l’aube et le soir, la main du guerrier et la couche des bien-aimées. Il crache l’haleine de la menace comme les démons du Nufud crachent sur la nuque des hommes égarés. Ses yeux sont aveugles au vent du temps. Et, moi qui ai l’âge d’en avoir beaucoup entendu, je vous le dis : si vous les écoutez, ses mots sont de ceux qui empoisonneront vos oreilles et videront vos entrailles.
    Cette fois, il n’y eut ni huées ni quolibets. Le discours d’Abu ‘Afak, seriné d’une voix sourde, savante et entêtante, avait glacé les esprits. Avec un frisson qui lui gela la poitrine, Fatima eut soudain l’impression que tous les hommes présents regardaient son père comme un monstre et qu’aucun n’aurait été surpris s’il se montrait capable, dans l’instant même, d’un sortilège démoniaque.
    Sans doute le devina-t-il. Et qu’il s’en faudrait de peu pour que les dizaines de visages face à lui ne se transforment en autant de meurtriers. Avant qu’Otba ibn Rabt’â ne souffle de nouveau sur les braises de la haine et de la terreur, il leva la main.
    — C’est moi qui parle beaucoup ? demanda-t-il de sa voix imperturbablement calme. Pourtant, c’est vous qui nous noyez de mots. Moi, je dis
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