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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé
Autoren: Andrea H. Japp
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basculées raclent le bois, qu’une grosse clef tourne en grinçant dans la serrure.
    Il se retrouva face à une très jeune moniale, à la mine fermée, qui annonça :
    — Je suis la semainière de tour. Notre bien-aimée mère vous attend au parloir. Ordre de brièveté vous est donné. Menez par la bride votre monture au valet d’écuries. Nul ne pénètre ici en selle, hormis notre mère.
    Hardouin ne l’ignorait pas, mais la remercia d’un hochement de tête.

    Mme Constance de Gausbert était assise très droite dans sa chaire réservée, en bout de longue table. Hardouin s’inclina et commença :
    — Croyez, madame ma mère, que je m’en veux de…
    — Trêve de civilités, mon fils. Assoyez-vous et expliquez ce qui vous amène.
    Il eût fallu être bien fol pour traiter avec légèreté une telle autorité. Hardouin se fit la réflexion qu’il n’avait jamais rencontré un être aussi impressionnant que cette femme menue, d’aspect si fragile. Sans doute parce qu’elle ne craignait personne hormis Dieu. Comme lui.
    — Tout d’abord, peut-être serez-vous soulagée d’apprendre que madame Mahaut de Vigonrin, votre nièce, n’a point enherbé, ni ne s’est livré à aucun sacrilège. Je le prouverai, et elle recouvrira la liberté et sa réputation sans tache.
    Elle le considéra un instant, puis :
    — Voici nouvelle de nature à réjouir le cœur d’une tante.
    Le visage impavide, elle se laissa aller contre le haut dossier sculpté de sa chaire et déclara d’une voix distante :
    — Dieu, dans Son infinie sagesse, a prévu d’étranges créatures. En êtes-vous une, bourreau ?
    — Que… enfin… s’embrouilla l’exécuteur des hautes œuvres.
    — Comment suis-je informée ? Mais je sais tout. Il le faut. Ce qui n’évite pas toujours les viles surprises et les cruelles désillusions, pour preuve !
    Elle parut réfléchir et après une pause, continua :
    — J’ai peu de temps à vous consacrer. Au-delà de la consternation et de… l’épouvante que j’ai ressenties, inutile de vous dire que le message que j’ai reçu ce matin de messire de Tisans, me narrant sans atténuation la vérité sur le trépas d’Henriette, me plonge dans une épineuse délicatesse. Après tout, j’avais un jour proposé le nom d’Henriette comme future abbesse. La duplicité, l’insondable noirceur de certaines âmes me stupéfient toujours. Vaste et inépuisable sujet, je vous l’accorde. Vous me vouliez entretenir des aumônes dont vous affirmez qu’elles sont dissimulées céans. Superflu, puisqu’elles nous ont été remises.
    — Remises ?
    — Si fait, un don anonyme, déposé en l’hostellerie, enveloppé d’une touaille qui portait une étiquette à mon nom.
    Soudain, Mme de Gausbert pouffa. Hardouin la considéra, l’œil rond.
    — Aimable et bien peu habile voleuse.
    — Votre pardon, madame ma mère ? murmura Hardouin, en pleine incompréhension.
    — Anonyme donc. Pourtant, mon nom était tracé d’une jolie main bien reconnaissable.
    — Muriette Letoine, la sœur copiste et archiviste.
    La mère abbesse se leva et déclara d’une voix plate :
    — Puisque vous voici rassuré sur le sort de nos aumônes, ma fille semainière de tour vous va raccompagner. À Dieu, mon fils.
    — Avec votre respect, madame ma mère, je…
    — À Dieu, mon fils.
    Hardouin débita d’un ton d’urgence :
    — Il me faut éclairer le trouble qui m’habite. Pourquoi vos filles ont-elles manifesté si peu d’émotions au trépas d’Henriette ? Pourquoi n’avoir pas mentionné cette novice, Marguerite Fouquet ? Cette distance que j’ai sentie en vous, en dépit de l’éloge que vous fîtes d’Henriette.
    Elle le dévisagea, stupéfaite, et à l’évidence mécontente. Glaciale, elle rétorqua :
    — Ah ça ! Savez-vous bien à qui vous parlez ? Nul ne m’assomme ainsi de questions ! La fatigue du voyage vous a-t-elle ôté le sens ? Qu’ai-je à faire de votre trouble !
    En dessous de tous, donc au-dessus de tous. Hardouin déplia sa haute taille et son regard gris acier se riva à celui de l’abbesse. Il songea vaguement qu’il risquait de regretter une impertinence. Trop tard.
    — Et qu’en est-il de votre sens ? Pensez-vous que votre lointain cousin, le pape, ajoutera à son encombre avec le roi de France afin de voler à votre secours si le scandale éclate ? Une moniale, meurtrière de sa sœur par jalousie de femme, d’une rare
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