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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie
Autoren: Jean Hatzfeld
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un temps long, même si ces gens sont tutsis du Rwanda ou du Burundi, même s’ils ont perdu des familles et des relations intimes dans les tueries. Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais je sais que ce sera très lent. Je ne connais pas l’histoire des autres génocides, mais je devine que ce retard se retrouvait pareillement : ceux qui n’ont pas traversé le génocide, même s’ils accomplissent des efforts très sincères, ils tarderont à comprendre plus qu’un petit peu.
     
    *
     
    L’important avec un enfant qui sort d’un génocide est aussi de soulager immédiatement un pan de sa misère matérielle. De lui trouver des médicaments s’il souffre d’une maladie, de lui ouvrir une pièce dans une maison, de lui donner à manger, un vêtement, un équipement scolaire s’il peut retourner à l’école, des outils s’il va cultiver. De cette façon, il se voit moins abandonné, il se sait plus considéré et il se sent mieux en société. Ensuite, c’est de le pousser vers d’autres enfants. Les enfants dialoguent entre eux facilement de ce qu’ils ont vécu, et ça débloque le langage. Après, il faut écouter tous les mots de chacun pour l’aider à débrouiller son problème et à trouver de nouveaux mots pour s’exprimer plus à fond.
    Je dois préciser une observation d’importance : le génocide a changé le sens de certains mots dans la langue des rescapés ; et il a carrément enlevé le sens d’autres mots, et celui qui écoute doit être aux aguets de ces perturbations de sens.
    Toutefois, je me suis aperçue, avec le temps, que les très jeunes enfants ne sont pas les plus vulnérables après un génocide, parce que ces très jeunes enfants, quand ils recommencent à goûter à la vie, ils se retrouvent plus spontanément. Leur plaisir est encore vivace. Sauf, bien sûr, s’ils sont très gravement traumatisés et s’ils ne parlent plus, naturellement.
    Les âges les plus difficiles sont l’adolescence et la vieillesse. Les adolescents, eux, ils souffrent plus que les autres de ne pas comprendre. Ils ne peuvent admettre que les interahamwe aient voulu les supprimer, sans une menace ou une chamaillerie préalable. Les adolescents, ils arrivaient aux portes de la vie sans soucis et on les a empêchés d’entrer à coups de machette. Ils sont depuis dans le pourquoi. Ils demandent : « Qu’est-ce que ma physionomie présente sans savoir, qu’est-ce que je porte sur moi que les Hutus ne supportent pas, puisque je ne leur ai rien fait ? Pourquoi fallait-il massacrer mes parents qui cultivaient tout tranquillement ? Comment je vais vivre à proximité de gens qui ne pensent qu’à me tuer sans explication ? » Pour beaucoup d’entre eux, la vie d’adulte devient trop embrouillée. Par exemple, pour toutes ces jeunes filles, qui désormais se retrouvent enceintes n’importe comment, sans décision, sans étonnement, sans plus se soucier un instant des lendemains du bébé.
    Toutefois, quand les adolescents s’assemblent, quand ils parlent de cela entre eux, ils échangent des réponses, ils partagent leurs sentiments et ça les soulage de leurs inquiétudes. Il y en a même qui commencent à dialoguer avec des jeunes Hutus, et ces conversations dévoilent un léger espoir.
    Quant aux personnes âgées, elles sont inconsolables de ce qu’elles ont perdu. Elles avaient élevé des enfants qui leur donnaient des vêtements, de la nourriture, de la douceur pour leur vieillesse et maintenant elles restent sans plus personne autour d’elles. En tuant leurs enfants, c’est comme si on leur avait coupé leurs bras et leurs jambes sur la ligne de départ de la dernière étape de leur vie. Les vieilles personnes, elles répètent : « J’avais nourri des fils et des filles bien portants, je les avais mariés convenablement et ils sont morts dans les marais. Qui va m’épauler maintenant pour traverser la vieillesse ? Qui va m’aider à éviter la maladie et la tristesse ? » Elles n’avisent dorénavant que la solitude et la misère pour compagnie ; ça leur est vraiment très difficile de ne pas noyer leurs pensées dans le gouffre du souvenir.
    Il y a aussi les enfants hutus qui ont marché jusqu’au Congo et qui sont revenus chez eux. La différence n’est guère perceptible aux yeux. Sinon que les enfants de ce long voyage, ils ne tiennent jamais en place, ils tendent à abandonner l’école ou la famille brusquement, à se diriger vers la rue, ils aiment
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