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Courir

Courir

Titel: Courir
Autoren: Jean Echenoz
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reposer
mais il n’y pense même pas, change précipitamment de tenue et rejoint les rangs
pour prendre part aux exercices.

7
     
     
    Il a beau ne pas gagner toutes ses courses, n’empêche qu’à
force d’accumuler ces records Émile est devenu, l’air de rien, l’idole de son
pays. Ce qu’il représente maintenant aux yeux du public tchèque, c’est
simple : il suffit qu’un matin paraisse dans les journaux une brève
indiquant qu’il se mettra en piste à dix-huit heures pour que vingt mille
personnes se battent le soir même à l’entrée du stade Masaryk.
    On lui propose une fois de représenter l’armée
tchécoslovaque aux championnats des forces alliées qui vont avoir lieu à
Berlin. Fort soutenue par sa hiérarchie, sa demande de participation est
agréée. Bon, dit Émile, très bien, j’y vais, et il part seul un vendredi, en
tenue militaire et en train, direction Berlin avec changement à Dresde. Les
championnats doivent débuter le samedi et il n’arrive à Dresde que vers minuit.
La ville a été entièrement détruite par les bombardements, ce ne sont
qu’immeubles effondrés, chaussées défoncées, ruines pendantes, il ne reste plus
grand-chose de Dresde à part la gare. En sortant de celle-ci, Émile essaie de
trouver son chemin parmi les décombres. Pas une lumière dans les rues
dévastées, personne pour lui indiquer son chemin, Émile est affamé, fatigué, il
a sommeil, et à part ça il pleut des cordes.
    Il finit par tomber sur un lieutenant américain qui met
d’abord un temps fou à le comprendre et à identifier son uniforme, puis qui
accepte de le guider. Émile le suit jusqu’à une sorte de salle d’attente,
ancien abri antiaérien où traînent quelques sentinelles. Les soldats désœuvrés
sont contents de voir quelqu’un venir meubler leur ennui, surtout vêtu de cette
tenue bizarre qu’ils n’avaient jamais vue. Ils s’étonnent mais, dans l’état où
il est, Émile n’a pas très envie de s’expliquer. Il doit courir demain, c’est
ce qu’on lui a fait comprendre, le train pour Berlin part à cinq heures du
matin, ce serait bien de pouvoir se reposer un moment s’il ne veut pas arriver
au stade épuisé. Les sentinelles s’en foutent, n’arrêtent pas de lui poser des
questions qu’Émile ne comprend pas, il essaie de leur répondre par gestes de
plus en plus évasifs et dilatoires. Les soldats se découragent, le laissent
enfin tranquille, lui désignent un banc, Émile se couche dessus et dort une
heure ou deux.
    Il n’arrive à Berlin que le lendemain après-midi, plus
fatigué que jamais, toujours tout seul et mort de faim. Il se débrouille pour
savoir où se trouve le stade, s’y précipite pour ne pas rater le départ de
l’épreuve, il n’en peut plus. Entré dans les lieux après qu’on lui a fait toute
une histoire au contrôle, se perdant sans cesse dans l’énormité du bâtiment,
posant à son tour des questions que personne ne comprend sans pour autant
saisir ce qu’on essaie de lui répondre, il réussit enfin à trouver un des
organisateurs. Émile est soulagé d’apprendre que sa course n’est prévue que
pour le jour suivant.
    Mais ce n’est pas tout, il faut encore s’inscrire, et donc
trouver d’abord l’autre organisateur chargé des inscriptions. On finit par le
lui indiquer, et cette fois c’est un capitaine anglais qui s’occupe de la
liste. Quel pays ? demande le capitaine. Tchécoslovaquie, répond Émile.
Bien, dit le capitaine, combien de participants ? Eh bien, dit Émile, moi.
Oui, dit le capitaine, d’accord, mais à part vous ? Eh bien moi, répète
Émile, juste moi. Ah bon, s’étonne le capitaine en hochant la tête, juste un.
Oui, confirme Émile, juste un. Moi. Bon, patiente le capitaine, et c’est pour quelle
épreuve ? Le cinq mille mètres, dit Émile. Va pour le cinq mille mètres,
dit le capitaine en s’apprêtant à porter son nom sur la liste appropriée. Puis
il se reprend, suspend son crayon et considère longuement Émile, et sans doute
le trouve-t-il un peu débraillé, tout froissé, pas rasé, mal peigné, pas l’air
très sérieux somme toute. Et vous avez déjà couru cinq mille mètres,
insinue-t-il avec douceur. Ça oui, dit Émile, plusieurs fois. Très bien, dit le
capitaine de plus en plus onctueux, et quel temps avez-vous atteint sur cette
distance ? Ma foi, répond simplement Émile, j’ai fait 14’25"8.
Pardon ? sursaute le capitaine. 14’25"8, répète
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