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Courir

Courir

Titel: Courir
Autoren: Jean Echenoz
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décompté sur
son déjà maigre salaire, rapidement il n’y est plus arrivé. On l’a donc changé
de poste pour l’affecter à la préparation des formes où ce n’est pas moins
pénible mais ça sent moins mauvais, il tient le coup.
    Tout cela dure un moment puis ça s’arrange un peu. A force
d’étudier tant qu’il peut, Émile est affecté à l’Institut chimique et là c’est
plutôt mieux. Même s’il ne s’agit que de préparer de la cellulose dans un
hangar glacial bourré de bonbonnes d’acide, Émile trouve ça beaucoup mieux.
Certes il préférerait, en laboratoire, participer à l’amélioration de la
viscose ou au développement de la soie artificielle, mais il manifeste en
attendant que ça lui plaît bien. Ça lui plaît tant que l’ingénieur en chef,
content de lui, l’encourage à suivre les cours du soir de l’École supérieure.
Une bonne petite carrière de chimiste tchèque se dessine lentement.
    Un seul problème à l’usine : désireux de vendre
toujours plus de leurs chaussures qu’ils exportent dans le monde entier, ce
qu’on peut comprendre, et non contents d’avoir poussé la rationalisation du
travail aussi loin que possible, les établissements Bata veulent également
faire connaître leur nom par tous les moyens et usent à cet effet de tous les
supports publicitaires imaginables. Entre autres initiatives ils ont engagé une
équipe de football maison, qui doit transporter les couleurs de la marque dans
tous les stades. Émile est assez indifférent à cela mais par malheur ils
organisent aussi, chaque année, une course à pied nommée Parcours de Zlin à laquelle
doivent participer tous les étudiants de l’école professionnelle, accoutrés de
maillots portant le sigle de la firme. Et ça, Émile déteste.
    Il a horreur du sport, de toute façon. Il traiterait presque
avec mépris ses frères et ses copains qui emploient leurs loisirs à taper
niaisement dans un ballon. Quand ils l’obligent parfois à jouer, il participe à
son corps défendant, ne sait pas s’y prendre, n’entend rien aux règles. Tout en
feignant de s’intéresser, il regarde ailleurs en tâchant discrètement d’éviter
le ballon dont il ne comprend jamais la trajectoire. Et si celui-ci lui arrive
par malheur dans les jambes, Émile donne un grand coup de pied dedans pour s’en
débarrasser, dans n’importe quelle direction, trop souvent celle des buts de sa
propre équipe.
    Donc, le Parcours de Zlin, Émile n’y trouve nul intérêt, n’y
prend part que contraint et forcé, tente de sécher tant qu’il peut cette corvée
mais en vain. Il a beau feindre chaque fois de boitiller une heure avant le
départ, arguant d’une cruelle blessure à la cheville ou au genou pour obtenir
une dispense, il a beau grimacer et geindre énormément, les médecins ne sont
jamais dupes. Il faut y aller. Bon, il y va. Le sport, Émile aime d’autant
moins que son père lui a transmis sa propre antipathie pour l’exercice
physique, lequel n’est à ses yeux qu’une pure perte de temps et surtout
d’argent. La course à pied, par exemple, c’est vraiment ce qu’on fait de mieux
dans le genre : non seulement ça ne sert strictement à rien, fait observer
le père d’Émile, mais ça entraîne en plus des ressemelages surnuméraires qui ne
font qu’obérer le budget de la famille.
    Ce budget – père ouvrier en menuiserie, mère au foyer, sept
enfants, pas un rond –, Émile sait bien ce que c’est. Il est d’accord sur la
question du sport avec son père qui d’autre part, plutôt qu’il entre à l’usine,
l’aurait mieux vu instituteur. Émile voulait bien passer l’examen mais
traditionnellement en Tchécoslovaquie, depuis le XVIII e siècle,
l’instituteur est un cantor avant tout chargé de faire chanter les enfants, de
leur faire écouter et connaître la musique. Or Émile chante, hélas, comme une
seringue : recalé d’office. Bata, donc.
    Bata où, hormis cette histoire désagréable de Parcours de
Zlin, l’avenir d’Émile commencerait donc à se profiler pas mal mais voilà, les
Allemands sont là. Les drapeaux nazis ont investi la ville, leurs porteurs
paradent sur ses places, dans ses rues, jusque dans les bureaux de l’usine de
chaussures où ils s’emparent des pouvoirs comme partout. On coupe les crédits
de recherche en laboratoire, on suspend les essais en cours, on interdit les
expériences. Reste à poursuivre ses études, passer ses examens et,
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