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Courir

Courir

Titel: Courir
Autoren: Jean Echenoz
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en
attendant, retourner à l’atelier.

3
     
     
    La propagande national-socialiste s’est installée sous ses
diverses formes. Censure de la presse, des films, des livres et des chansons.
Interdiction d’écoute des radios étrangères. Meetings et conférences assez
obligatoires, distribution de brochures, affichage à grande échelle. Les rues
sont constellées de journaux muraux, de photoreportages démontrant que l’armée
d’occupation est on ne peut plus correcte. Et d’ailleurs il n’y a pas
d’occupation. L’armée allemande respecte les personnes et les biens. Le soldat
allemand est l’ami des enfants.
    Au cinéma, quand Émile a le temps et l’argent pour y aller,
diffusés avant le film comme les documentaires classiques et présentés comme
tels, sous forme de témoignages sérieux fondés sur des informations sérieuses,
il peut voir les nouveaux journaux d’actualités. Ils consistent en images harmonieuses,
séduisantes, sur lesquelles une chaleureuse voix off l’interpelle
affectueusement en proclamant le retour à la normale, à la paix, la cohésion et
la fraternité.
    Entretenue par des organisations de jeunesse aussitôt
créées, la propagande s’exerce également fort dans les écoles et dans les
universités. L’une des premières initiatives de l’occupant est de monter pour
les jeunes gens des manifestations sportives, athlétisme et jeux collectifs, et
là encore c’est assez obligatoire.
    La première course à laquelle participe Émile est donc un
cross-country de neuf kilomètres mis au point par la Wehrmacht à Brno et qui va
opposer une sélection allemande athlétique, élancée, arrogante, impeccablement
équipée, tous pareils dans le genre übermensch, à une bande de Tchèques
faméliques et dépenaillés, jeunes paysans hagards en caleçon long ou vagues
footballeurs amateurs mal rasés. Émile ne participe pas de gaieté de cœur à
cette épreuve mais c’est un garçon consciencieux, il s’y met, il donne ce qu’il
peut. Comme il termine deuxième sans s’en apercevoir et au vif dépit des
aryens, un entraîneur du club local s’intéresse à lui. Tu cours bizarrement
mais tu ne cours pas si mal, lui dit-il. Enfin vraiment tu cours très
bizarrement, insiste l’entraîneur en secouant une tête incrédule, mais bon, tu
cours pas mal. De ces deux propositions, Émile n’écoute et n’entend
distraitement que la seconde.
    Comme les copains ont repéré que, même bizarre, il n’est pas
mauvais, ils lui proposent de revenir courir avec eux mais il refuse. Il aime
bien courir comme nous tous de temps en temps, mais enfin pas plus que ça.
Malgré ce bon résultat par hasard de Brno, il ne croit pas spécialement à ses
moyens, d’ailleurs il n’y pense pas, ce n’est pas son affaire et il voit bien
de toute façon que la plupart des autres vont plus vite que lui. Les matins,
quand on revient des exercices de gymnastique, il se prête à quelques sprints
avec eux mais c’est bien pour leur faire plaisir et il se retrouve toujours
dans les derniers. Donc il dit que non, qu’il n’aimerait mieux pas, que ça ne
l’intéresse pas et qu’il ne veut surtout, mais alors surtout pas entendre
parler de compétition.
    Or on sait comme il est, Émile, quand il dit non c’est en
souriant. Il sourit tout le temps de toute façon, donc on l’aime bien, donc on
insiste. Il se fait prier mais n’est pas difficile à convaincre, et de cette
faiblesse il s’en veut un peu. Il a beau expliquer qu’il n’a pas très envie d’y
aller, il ne sait jamais refuser longtemps. Allez, finit-il par céder,
d’accord. Et il vient.
    L’imprévu, c’est que bientôt ça commence à lui plaire. Il ne
dit rien mais il paraît y prendre goût. Au bout de quelques semaines voici même
qu’il se met à courir seul, pour son propre plaisir, ce qui l’étonné lui-même
et il aime mieux ne pas en parler à qui que ce soit. La nuit tombée, quand
personne ne peut le voir, il fait aussi vite que possible l’aller-retour entre
l’usine et la forêt. S’il n’en dit pas un mot, les autres finissent par s’en
apercevoir, insistent encore et lui, toujours trop gentil pour résister
longtemps, il y retourne puisqu’ils y tiennent tant.
    Or, tout gentil qu’il est, il s’aperçoit aussi qu’il aime
bien se battre : les premières fois qu’on le met sur une piste, il y va de
toutes ses forces et gagne facilement deux courses de quinze cents et de trois
mille mètres. On
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