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Courir

Courir

Titel: Courir
Autoren: Jean Echenoz
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le félicite, on l’encourage, on le récompense d’une tartine et
d’une pomme, on lui dit de revenir et il revient et se met à s’entraîner au
stade, d’abord pour rire puis de moins en moins. Enclavé dans la zone industrielle
et fort laid, le stade de Zlin se trouve en face de l’usine électrique :
le vent y chasse la fumée des cheminées, la suie et la poussière qui retombent
dans les yeux des sportifs. Malgré ces inconvénients, Émile commence à bien
l’aimer aussi, ce stade, l’air lourd qu’on y respire est quand même bien plus
pur que celui de l’atelier.
    A l’atelier, d’ailleurs, ça ne s’arrange pas. À la suite
d’une embrouille, et comme sanction professionnelle, Émile a été changé de
poste et chargé de la pulvérisation des silicates. C’est une tâche encore plus
ingrate que les autres, la poussière blanche qui le recouvre et qu’il absorbe
lui donne l’air d’un spectre en apnée à plein temps. Comme il s’en plaint et
sollicite une mutation, le chef du personnel lui propose obligeamment, s’il
n’est pas content, d’être envoyé en camp de travail. Émile n’insiste pas.

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    Cependant que les Allemands font maintenant régner la
terreur dans le protectorat, qu’on déporte et massacre, qu’on brûle et rase à
tour de bras, continuer à courir permet peut-être de penser à autre chose.
Comme Émile vient d’être honorablement battu sur trois mille mètres, deuxième à
deux secondes du vainqueur, un rédacteur fait imprimer son nom pour la première
fois dans un journal local qui n’a pas le droit, de toute façon, d’imprimer
grand-chose d’autre. Émile relit dix fois l’article comme on fait dans ces
cas-là, mais c’est surtout ce nom qu’il regarde, ce drôle de nom qu’il ne
connaissait pas sous cette forme imprimée, qu’il n’avait jamais vu comme ça, drôle
d’effet de se trouver avec cette nouvelle identité publique. Encore qu’identité
publique, à Zlin à vingt ans, il ne voit pas très bien ce que ça veut dire.
    Ce qu’il ne comprend pas non plus, c’est que les autres, au
stade, parlent chaque fois gravement de leur course, avec autant de sérieux que
si ça l’était. Or courir, pour Émile, est plutôt devenu un plaisir même s’il
comprend aussi que ce plaisir doit s’apprendre. Du coup, c’est lui qui se met à
en faire trop. L’hiver, entre deux saisons, il s’entraîne inconsidérément
pendant que les autres se reposent chez eux. Il fonce tous les jours sur la
route jusqu’au village voisin, huit kilomètres aller-retour sans s’interrompre,
et retourne sans cesse au stade bien que ça fatigue et que ça fasse mal. Il s’obstine
tellement que les autres commencent à s’inquiéter pour lui. Tu es complètement
malade, Émile, s’alarment-ils, tu vas finir par t’épuiser. Travaille plutôt ton
style. Mais non, dit-il, le style c’est des conneries. Et puis ce qui ne va pas
chez moi, c’est que je suis trop lent. Tant qu’à courir, il vaut mieux courir
vite, non ?
    Il refuse donc de ne travailler que son endurance, comme eux
qui se préparent seulement sur les longs parcours de fond ou de demi-fond
qu’ils ont choisis pour domaine. Lui, inversant le système, s’entraîne aussi de
plus en plus en vitesse, sur de petites distances indéfiniment répétées, ce qui
commence à le faire progresser pas mal.
    Pas mal au point de pouvoir envisager de faire face à
d’autres spécialistes que les vieux copains de Zlin. Au championnat qui oppose,
à Prague, la Bohême à la Moravie, Émile s’inscrit pour la première fois à
l’épreuve des quinze cents mètres, se confrontant aux trois meilleurs coureurs
tchèques en demi-fond. Ceux-ci, s’étant soigneusement concertés, ont mis au
point un plan d’attaque contre le détenteur du record, un nommé Salé. Ce plan
est simple. Ils vont courir dès le départ le plus vite possible dans l’idée que
ledit Salé, connu comme sprinter, finira par ralentir et cessera de lutter en
se voyant trop loin de ce peloton de tête. Tout simple qu’il soit, le système
des trois Tchèques est sur le point de marcher, Salé se décourage, les trois
Tchèques sont contents. Mais ils ont oublié Émile qui a son point de vue
personnel sur la marche à suivre. Lui s’est d’abord contenté de suivre
respectueusement Salé puis, voyant que celui-ci va céder, il se permet de le
dépasser pour talonner les trois premiers qu’il laisse l’un après
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