Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
Vom Netzwerk:
et nous remontions au grand soleil, nus comme des petits Saint-Jean, mais les jambes agrémentées de colonies de sangsues qu’il fallait se presser de décoller. Mais là n’était pas le plus grand péril. Dans un esprit de sauvegarde, la municipalité déléguait des rondes d’agents cyclistes qui, survenant, saisissaient nos fringues et ne nous les rendaient qu’après nous avoir menacés, admonestés et parfois calottés d’importance.
    D’autres jeudis, la grande virée des copains avait pour objectif ce qui nous semblait le centre de Paris. C’était cette fois le tramway La Chapelle-Jardin des Plantes qui assurait un tronçon du parcours jusqu’à la gare de l’Est. Là, sur le boulevard de Strasbourg, une halte s’imposait devant la vitrine de la boutique « À la Source des Inventions », recelant d’inaccessibles trésors : machine à vapeur en réduction, entraînant une minuscule génératrice d’électricité, tubes de Geissler, Meccanos assemblés, postes de radio à galène, bobine de Ruhmkorff. Encore émerveillés et par hasard munis d’argent de poche, une halte s’imposait boulevard Saint-Denis devant l’échoppe du père Coupe-Toujours, pour l’achat d’une portion de galette à vingt-cinq centimes. La halte suivante, selon les jours et l’heure, pouvait être le musée des Arts et Métiers.
    De toute façon, le terminus de l’expédition était le Bazar de l’Hôtel de Ville, premier magasin à inaugurer les rayons à prix fixes, cinq, dix et quinze centimes évidemment. Là commençait le concours de fauche, le butin consistait en objets strictement inutiles à des morveux, tels que boîtiers de lampes de poche, pipes, tire-bouchons. Beaucoup plus tard, dans mon âge mûr, lors d’une signature de livres, j’eus l’occasion de faire l’aveu de ces larcins à un administrateur du B.H.V. Il ne m’en tint pas rigueur.
    Un personnage puissant était alors la concierge, redoutable par ses confidences aux flics. Elle détenait un pouvoir occulte et souvent tyrannique. Dans la pratique, c’est elle qui donnait ou non accès aux cours des immeubles aux chanteurs ambulants et aux marchands, au meneur du troupeau de chèvres venu vendre le lait de ses bêtes, et des fromages qu’on pouvait le soupçonner d’acheter aux Halles jamais un troupeau si réduit n’aurait pu assurer une telle production. Pour les chanteurs des cours, la sélection s’opérait selon les goûts de la pipelette. Aimait-elle la romance qu’elle interdisait l’entrée de l’immeuble aux chanteurs tendancieusement réalistes.
    Le jeudi matin, les mouflets faubouriens, en âge de faire correctement les commissions et de force à porter un filet à provisions garni, s’en allaient dans l’immédiate banlieue pour un ravitaillement économique. L’octroi, embusqué aux portes, admettait en franchise l’introduction dans Paris d’un kilo de sucre, d’un litre de pétrole, d’un litre d’huile de table et d’un autre d’alcool à brûler. L’économie sur ces quatre denrées achetées extra-muros dans les baraques spécialisées de la zone n’était certes que de quelques centimes, petite victoire sur l’administration, précieuse à l’esprit frondeur des classes laborieuses. La disparition de l’octroi devant amener celle des piécettes de bronze d’un et de deux centimes, alors indispensables à l’appoint des achats hors les murs.
    Je ne répugnais pas à faire les commissions, et j’avais déjà un revenu appréciable en faisant celles de Mme Marguerite. C’était une créature qui me semble, avec le recul des ans, devoir avoir été gironde dans le type abondant. Mme Marguerite et son compagnon, M. Louis, vivaient assez confortablement de l’exploitation des charmes de la première nommée. Ouvrière de la première heure du putanat, Mme Marguerite s’était assuré une clientèle fidèle de mandataires des Halles, ce qui la faisait se rendre tôt sur les lieux de sa galante industrie. J’étais son commissionnaire pour l’achat d’un des rares produits de beauté vendus dans notre faubourg, la crème Simons. Je faisais encore ses emplettes chez l’unique épicier italien de La Chapelle, le seul à tenir le gorgonzola dont M. Louis raffolait. J’avais encore mission de promener leur chienne bouledogue, « Bouboule », qu’il m’était recommandé de ne pas laisser approcher par des chiens bâtards. Certains jeudis, tenant « Bouboule » en laisse, j’entreprenais
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher