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Camarades de front

Camarades de front

Titel: Camarades de front
Autoren: Sven Hassel
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l’emmerde.
    – Moi, dit le porte-drapeau, Hitler foutu, j’irai à Venise. J’y ai été douze ans avec mon vieux. Chouette ville. Qui connaît Venise ?
    – Moi, dit une voix douce dans un coin.
    C’était la voix de l’aviateur mourant. Elle nous glaça. L’huile bouillante avait brûlé son visage, les yeux étaient -deux points rouges dans une masse grise qui tournait au mauve. Le fantassin bavait ; sans regarder le mourant il dit :
    – Ainsi tu as été à Venise ?
    Le long silence que personne n’osait rompre. C’était rare d’entendre un mourant parler d’une ville.
    – Le grand canal est plus beau dans la lumière du soir. Les gondoles semblent des diamants qui font jaillir des gerbes de perles… C’est la plus belle ville du monde, j’aimerais y mourir, dit le presque mort sachant bien qu’il allait mourir dans un wagon à bestiaux, du côté de Brest-Litovsk.
    – Un vieux soldat est toujours content, rêva le légionnaire, parce qu’il est en vie et qu’il sait ce que ça veut dire. Mais il n’y a pas tant de vieux soldats. L’homme à la faux ne les connaît même pas.
    Le train freina en grinçant. Il avançait par courtes saccades, puis il freina de nouveau. Il finit par s’arrêter dans un long hurlement et la locomotive disparut pour se ravitailler en tout ce qu’il faut à une locomotive.
    Nous étions dans une gare : bruits de bottes, appels, cris. Il y eut des rires, un surtout, un rire autoritaire de gradé ; ce n’était pas un pauvre troupier qui pouvait rire ainsi.
    – Où sommes-nous ? demanda le pionnier.
    – En Russie, imbécile.
    Quelqu’un ouvrit la porte du wagon et un sous-officier de santé parut, l’air idiot.
    – Heil ! camarades ! hennit-il.
    – De l’eau ! gémit une voix sortant de la paille infecte.
    – Un peu de patience, vous aurez de l’eau et de la soupe. Y a-t-il des grands blessés par ici ?
    – Tu veux rire ! On est frais comme des gardons, gloussa le porte-drapeau. On revient d’un match de foot.
    Le sous-off disparut prestement. Le temps passa, puis quelques prisonniers de guerre surgirent sous la garde d’un territorial, apportant un seau de soupe tiède qu’ils versèrent dans nos gamelles immondes. Nous la mangeâmes et eûmes encore plus faim. Le territorial promit d’en rapporter et n’en fit rien, mais d’autres prisonniers arrivèrent pour jeter dehors les cadavres. Quatorze cadavres dont neuf dus au Jabos. On voulut emporter l’aviateur, mais il parvint à les persuader qu’il était encore en vie.
    Plus tard, vint un jeune médecin flanqué de quelques sous-officiers de santé. Ils jetèrent çà et là quelques coups d’œil en disant chaque fois la même chose : – Ça ira, il n’y a guère de mal.
    – Comme ils arrivaient à Petit-Frère, la tornade éclata.
    – Fils de pute ! Ils m’ont arraché la moitié du cul, mais il n’y a guère de mal, hein ? Couche-toi là, fakir, que je t’arrache le tien et tu me diras si tu rigoles ! – Il attrapa la cheville du médecin qui s’étala dans la paille fétide.
    – Bravo ! jubila le gangrené qui se mit à taper sur la figure du médecin avec son bras pourri dont le pus et le sang dégouttaient du pansement.
    Barbouillé de sanie, effroyable à voir, le médecin fut sauvé de justesse par les deux sous-off.
    – Guère de mal ! hurlait Petit-Frère. Espèce de buse !
    – Ça vous coûtera cher ! menaça le médecin furieux.
    – On t’emmerde !
    Les trois hommes sautèrent dehors et firent rouler la porte. Le train ne repartit que le lendemain matin, mais on oublia de nous donner le petit déjeuner.
    L’aviateur vivait toujours ; un autre était mort pendant la nuit et deux d’entre nous se battirent pour ses bottes. De belles bottes bien souples, qui valaient un combat, des bottes d’avant-guerre sûrement, doublées de peau claire. Ce fut un feldwebel d’artillerie qui les eut. Son poing atteignit le menton du sous-officier de chasseurs et lui fit oublier les bottes pour un long moment.
    – Les belles bottes ! cria le feldwebel rayonnant. – Il cracha dessus et les polit avec sa manche.
    – Donne plutôt les tiennes au mort, avertit quelqu’un, sinon tu pourrais bien perdre les neuves en vitesse.
    – Qu’on ose seulement ! hurla l’homme comme un chien qui défend son os.
    – Pillage et détroussage de morts. Ça veut dire le conseil de guerre, je te préviens.
    Le feldwebel jura, mais se déchaussa et
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