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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone
Autoren: Keith Abott
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l’autonomie – comme
si elles voulaient s’assurer de leur propre survie tandis que le contexte
alentour s’effondre. »
    Ses phrases se firent plus lapidaires. Il assembla ses
romans en blocs temporels dont les chapitres représentaient des instants immuables
qui retenaient l’attention, comme des statues en prose.
    D’un point de vue artistique, l’effondrement du sens se
traduit par le choix du bagage littéraire et les « luttes et tensions
internes » – qui, comme le souligne Chénetier, sont le sujet
même de Retombées de sombrero.
    Dans la réalité, en revanche, Brautigan n’arrivait pas à
admettre que ses ventes de livres étaient en chute libre et que sa popularité
l’abandonnait.
    Ses commentaires m’apprirent que ses séjours au Japon lui
avaient apporté ce qu’il pouvait lui arriver de pire : regonfler son
orgueil sans toutefois lui fournir de nouvelles sources d’inspiration.
    Un de mes amis qui l’accompagna à Tokyo me dit qu’il
comptait des romanciers, des intellectuels et des artistes d’avant-garde parmi
ses admirateurs japonais. Rien de comparable avec son statut en Amérique.
    Il avait beau dédaigner ouvertement tout propos intellectuel
sur son œuvre et mépriser les articles critiques, cette situation le minait.
Lui qui avait obtenu une gloire aussi soudaine que météorique, à la fois grâce
à un travail énorme sur cinq romans et à une bonne part de chance, s’estimait
au-dessus de tout apparat critique.
    Dans le Montana, au contact indirect d’Hollywood, il
s’enticha d’un nouveau leitmotiv : dépasser l’univers limité de l’édition.
L’industrie du film considérait son travail selon des critères de popularité et
d’argent. Et comme les instances littéraires le négligeaient, il prétendit
embrasser une carrière de scénariste.
    Je me souviens de cette soirée où nous étions en train de
travailler sur sa jaquette. Fort de son nouveau public au Japon, me dit-il, du
scénario en cours et des romans qu’il allait pouvoir monnayer auprès
d’Hollywood, il s’était maintenant fixé un nouvel objectif : gagner un
million de dollars.
    « Un million de dollars », rabâchait-il, comme
hypnotisé. « Je vais me faire un million de dollars dans l’année. »
    Richard étant absorbé par son livre, je saisis l’occasion
pour avancer la date de mon départ. Comme il avait besoin de quelqu’un pour
surveiller les travaux d’irrigation que j’avais confiés à une société locale,
il appela Price Dunn en Californie et lui demanda de prendre le premier avion
pour le Montana.
    Après coup, je m’en voulus de ne pas avoir informé Price de
l’instabilité mentale de Richard. Puis je me dis qu’ils étaient amis de longue
date, que Richard éprouvait un immense respect pour Price et que sa présence
bienveillante lui ferait le plus grand bien.
    J’ai appris peu après que cette amitié vieille de vingt ans
s’était achevée en une scène digne des plus mauvais feuilletons télévisés.
    J’ai laissé les clés de la Dodge au bureau de location de
voitures de l’aéroport de Bozeman, à l’attention de Price et de la nouvelle
petite amie de Richard, qui devaient arriver de San Francisco.
    J’étais heureux de déguerpir.
    Deux semaines plus tard, j’ai reçu une série de coups de fil
grinçants de Richard, tard dans la nuit. Price l’avait trahi. Leur amitié était
brisée à jamais.
    Il s’est embarqué dans une histoire incohérente, Price
« l’abandonnant » au ranch, et mettant en pièces le véhicule de
location. Richard prétendit que cet incident avait « presque mis en
péril » son amitié avec Peter Fonda. Ce qui s’était réellement passé
n’était pas clair, si ce n’est qu’il traversait manifestement une de ses phases
maniaco-alcooliques, se lançant dans des coups de fil tardifs, inventoriant ses
doléances sur le ton monocorde qu’il empruntait pour ce type d’événement.
    Par recoupements avec la version de Price et d’autres amis à
qui Richard s’était adressé, je suis parvenu à reconstituer ce qui s’était
vraiment passé. Avant ce voyage, Price ne connaissait pas Maria, la nouvelle
fiancée de Richard, qui s’est rapidement révélée quelqu’un de têtu et
d’indépendant.
    Elle avait trouvé quelqu’un le vendredi pour la descendre à
Livingston. Sur le coup de six heures du soir, Price s’est rendu en ville pour
aller la chercher. Il l’a retrouvée dans un bar, entreprise
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