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Borgia

Titel: Borgia
Autoren: Michel Zévaco
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ou par un excès de bizarre latinité, s’appelait Auberge du beau Janus.
    Le chevalier demanda une place à l’écurie pour Capitan et une chambre pour lui. Un domestique s’empara du cheval et l’hôtelier conduisit Ragastens à une chambrette du rez-de-chaussée.
    – C’est humide, observa-t-il.
    – Nous n’en avons pas d’autre disponible.
    – Je la prends tout de même, parce que vous êtes tout près du Palais-Riant.
    – Vous êtes bien servi, fit l’hôte étonné, car de votre fenêtre vous pouvez justement voir le derrière du palais.
    L’hôte ouvrit la fenêtre ou plutôt la porte-fenêtre, et Ragastens reçut au visage une bouffée d’humidité.
    – Qu’est-ce que cela ? fit-il.
    – Cela ?… C’est le Tibre, donc !
    En effet, le fleuve coulait entre deux rangées de maisons, sans quai, sans berge. Derrière chaque maison, un escalier de quelques marches aboutissait au ras de l’eau. Devant sa porte-fenêtre, un de ces escaliers montrait quatre marches de pierre verdâtre.
    – Tenez, reprit l’hôte, voyez là-bas… au coude du fleuve, cet escalier plus large que les autres… c’est celui du Palais-Riant.
    – Bon ! fit Ragastens en rentrant et refermant la porte, cette chambre me plaît, tout humide qu’elle est…
    – On paie d’avance, seigneur, observa l’hôte.
    Le chevalier s’exécuta.
    Puis, ayant demandé du fil et une aiguille, il s’absorba en une méticuleuse réparation de ses pauvres effets, qu’il brossa, battit, nettoya de fond en comble. Après quoi, il dîna de bon appétit.
    Ces diverses occupations le conduisirent jusqu’à neuf heures. Une heure plus tard, Ragastens, flamboyant de propreté, l’épée au côté, attendait avec impatience le moment de se rendre au palais de Lucrèce Borgia.
    Un profond silence pesait sur la ville, endormie depuis longtemps. Seul, le sourd murmure du Tibre qui roulait au pied de la maison ses eaux grisâtres, élevait dans la nuit des voix tristes comme des plaintes fugitives. Le chevalier les écoutait avec une émotion dont il n’était pas le maître… Il se secoua pour échapper à cette impression nerveuse. Bientôt, d’ailleurs, il allait être minuit…
    Le chevalier souffla sa chandelle et, drapé dans son manteau, s’apprêta à sortir. À ce moment, une plainte plus déchirante monta du fleuve. Ragastens tressaillit.
    – Cette fois, murmura-t-il, ce n’est pas une illusion… c’est une voix humaine.
    Un nouveau cri de détresse se fit entendre. On eût dit qu’il venait de retentir dans la chambre. Ragastens frémit… Ses tempes se mouillèrent. Pour la troisième fois une plainte s’éleva, étouffée comme un râle d’agonisant.
    – Cela vient du Tibre ! s’écria Ragastens.
    Il s’élança, ouvrit la porte-fenêtre… La nuit était opaque. Le Tibre, resserré entre les maisons au haut desquelles on apercevait à peine un pan de ciel étoilé, roulait des flots noirs. À tâtons, le chevalier descendit les quatre marches ; il se baissa… allongea les mains.
    Ses mains rencontrèrent une étoffe soyeuse. L’étoffe couvrait le corps d’un homme. L’homme râlait, haletait. Ragastens le saisit par les épaules.
    – Qui êtes-vous ? demanda l’inconnu.
    – Ne craignez rien… un étranger… un ami…
    – Il n’y a pas d’amis… Oh ! je vais mourir… Écoutez !…
    L’homme incrusta ses mains sur les dalles… Ragastens voulut le tirer de l’eau…
    – Non ! fit l’homme dans un hoquet d’agonie… inutile… je vais… mourir… mais je veux… me venger… Écoutez…
    – J’écoute ! fit Ragastens, les cheveux hérissés.
    – Le comte Alma… prévenez-le… prévenez sa fille… il veut l’enlever… il ne faut pas…
    – Qui, le comte Alma ? Qui, sa fille…
    – Sa fille !… Béatrix… Primevère !…
    – Vous dites, fit Ragastens d’une voix rauque d’angoisse, vous dites qu’il veut l’enlever… Qui ?…
    – Celui qui vient de me tuer… mon…
    À ce moment, l’homme fut secoué d’un spasme mortel… il se raidit… ses mains lâchèrent la pierre, le corps roula dans l’eau… et disparut dans un remous des flots noirs.
    Ragastens se redressa. Ses yeux fouillèrent avidement l’ombre épaisse. Mais en vain !
    Alors, il rentra dans la chambre, et essuya son visage couvert d’une sueur d’angoisse.
    – Oh ! prononça-t-il sourdement, quel est cet horrible secret que je n’ai pu saisir !… Elle s’appelle
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