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Au Coeur Du Troisième Reich

Au Coeur Du Troisième Reich

Titel: Au Coeur Du Troisième Reich
Autoren: Benoît Lemay , Albert Speer , Michel Brottier
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J’ai toujours gardé ce penchant romantique pour les vieux « burg » en ruine et les ruelles enchevêtrées, comme en témoigne ma passion de collectionneur de paysages, particulièrement de ceux des romantiques de Heidelberg. Parfois, sur le chemin du château, je rencontrais Stephan George, apparition d’une grande majesté et d’une extrême dignité, entourée d’un rayonnement presque sacré. Il avait l’air d’un prophète et possédait un charme magnétique. C’est en classe de première que mon frère aîné fut introduit dans le cercle intime du maître.
    Ce qui m’attirait, moi, c’était la musique. Jusqu’en 1922 j’eus l’occasion d’entendre à Mannheim le jeune Furtwängler et ensuite Erich Kleiber. Vers cette époque-là je trouvais Verdi plus impressionnant que Wagner, et Puccini « épouvantable ». En revanche, j’aimais beaucoup une symphonie de Rimski-Korsakov et également la Cinquième symphonie de Mahler qui me parut certes compliquée mais qui m’avait plu. Après une représentation au théâtre, je notais que Georges Kaiser était « le dramaturge moderne le plus important, car il cherchait à comprendre la nature de l’argent, sa valeur, sa puissance ». La pièce d’Ibsen Le Canard sauvage , me paraissait souligner le ridicule de la classe dirigeante. Ces personnages me paraissaient des cabotins. Avec son roman Jean-Christophe , Romain Rolland augmenta encore l’admiration que j’éprouvais pour Beethoven  3  .
    Ainsi le refus du grand train mené à la maison n’était pas seulement défi d’adolescent. On retrouvait cette opposition dans le goût que j’avais pour les auteurs critiquant la société et dans la préférence que j’accordais au cercle de camarades choisis dans la société d’aviron ou dans les chalets du club alpin, l’Alpenverein. L’affection même que je portais à une famille d’artisans, donc de bourgeois très simples, allait contre l’habitude de ma famille de choisir ses fréquentations et sa future femme dans la couche sociale privilégiée à laquelle elle appartenait. J’éprouvais même une sympathie naturelle pour l’extrême gauche, sans que cette inclination ait jamais pris une forme tangible. J’étais cuirassé contre tout engagement politique. Mes sentiments patriotiques et l’irritation que je ressentais, par exemple à l’époque de l’occupation de la Ruhr en 1923, devant des divertissements incongrus ou devant la menace de la crise charbonnière, n’y changèrent rien.
    A mon grand étonnement, je rendis au baccalauréat la meilleure dissertation de ma promotion. Pourtant lorsque le directeur de l’école, dans son discours d’adieu, annonça aux bacheliers que maintenant s’ouvrait devant eux « le chemin des plus hautes actions et des plus grands honneurs », à part moi je pensai : « Cela ne te concerne pas. »
    Comme j’étais le meilleur élève de l’école en mathématiques, je désirais continuer dans cette voie. Mon père s’y opposa avec de si évidentes raisons qu’en bon mathématicien, familier de la logique, je m’inclinai. Cette voie abandonnée, la profession d’architecte que je connaissais depuis ma plus tendre enfance s’imposait. Aussi, à la grande joie de mon père, décidai-je de devenir architecte comme lui et comme son père.
     
    Comme nous étions en pleine inflation, je fis, pour des raisons financières, mon premier semestre à la Haute École technique de Karlsruhe, tout près de chez nous. Les progrès de l’inflation m’obligeaient à aller chercher chaque semaine mon argent, et à la fin de la semaine, les sommes mirifiques ne représentaient plus rien. Au cours d’une excursion à bicyclette à travers la Forêt-Noire, j’écrivis, à la mi-septembre 1923 : « Très bon marché, ici ! 400 000 marks la nuit et 1 800 000 marks le dîner. 250 000 marks le demi-litre de lait. » Six semaines plus tard, peu avant la fin de l’inflation, un déjeuner au restaurant coûtait de dix à vingt milliards de marks et, à la même date, au restaurant universitaire, plus d’un milliard, ce qui correspondait à sept pfennigs or. Pour une place de théâtre on devait payer de trois cents à quatre cents millions.
    A cause de cette catastrophe financière, ma famille se vit contrainte de vendre à un konzern la maison de commerce et la fabrique héritées de mon grand-père, pour une infime partie de leur valeur, mais contre des bons du trésor en dollars. Je
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