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A l'écoute du temps

A l'écoute du temps

Titel: A l'écoute du temps
Autoren: Michel David
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entendre.
     
    — P'pa, est-ce
que je peux aller au carré Bellerive avec André? demanda l'adolescent.
     
    — Il va mouiller,
répondit son père.
     
    — Quand il va
mouiller, on va revenir en courant, p'pa.
     
    — C'est correct,
accepta Gérard. Faites attention en traversant Notre-Dame. Traversez au coin.
     
    — OK, p'pa.
     
    La porte de la
clôture se referma sur un claquement sec et l'homme retrouva le calme un
instant brisé par l'éruption de son fils et de son copain. Il reprit le fil de
ses souvenirs.
     
    Ses parents
avaient accueilli sans aucun enthousiasme son intention d'épouser Laurette. Sa
mère avait été particulièrement réticente. Lucille Morin n'aimait pas beaucoup
celle que son fils avait choisie. Un peu snob, elle ne s'était pas cachée pour
critiquer le manque de distinction de la 35 jeune fille après chacune de ses
rencontres avec celle que son fils fréquentait. Son père ne disait rien, mais
Gérard sentait bien qu'il n'était pas loin de partager l'avis de sa femme.
     
    Si Laurette avait
senti cette réticence de ses futurs beaux-parents, elle n'en montra rien. La
jeune fille manquait peut-être de distinction, mais elle possédait assez
d'intelligence et d'intuition pour percevoir que ses beaux- parents la
méprisaient et la considéraient comme venant d'une classe inférieure à la leur.
Par exemple, elle avait eu beau demander à la mère de son fiancé de la tutoyer,
cette dernière s'était entêtée à la vouvoyer, comme si elle tenait absolument à
maintenir une distance entre elles.
     
    — Veux-tu ben me
dire pourquoi ta mère tient tant à me dire «vous» gros comme le bras?
avait-elle fini par demander à Gérard sur un ton exaspéré.
     
    — Pour moi, c'est
parce que tu la gênes, avait répondu son futur mari après une brève hésitation.
     
    — Je suis pas
sûre de ça pantoute, avait-elle répliqué.
     
    Quand elle parle
à Rosaire, le chimi de ta soeur, ta mère lui dit «tu». On dirait qu'elle m'aime
pas.
     
    Laurette avait
bien raison, ses relations avec sa belle-mère ne s'étaient jamais réchauffées
et le vouvoiement était demeuré.
     
    Après son
mariage, elle aurait pu partir à leur conquête.
     
    Pas du tout.
L'idée ne lui vint même pas à l'esprit. Elle s'ingénia même à les choquer
chaque fois qu'elle le pouvait.
     
    On aurait juré
qu'elle tirait un plaisir malsain à confronter sa belle-mère avec tout l'aplomb
que lui conféraient ses «airs peuples», comme le disait Lucille avec une moue
de réprobation.
     
    Les occasions
n'avaient pas manqué. Par exemple, quand les beaux-parents avaient proposé à
Gérard et à sa petite famille de quitter la rue Emmett pour Saint-Hyacinthe, 36
LA FAMILLE MORIN en 1936, parce qu'il y avait un emploi libre chez Casavant
pour le jeune père de famille, Laurette avait tranché.
     
    — Il est pas
question que j'aille m'enterrera la campagne, avait-elle déclare sur un ton
sans appel, provoquant ainsi la stupeur chez ses beaux-parents qui avaient cru
rendre un grand service à son fils en le sortant du quartier défavorisé où il
vivait avec les siens.
     
    Fumer en public,
sortir sans porter un corset et parler à tue-tête étaient tous des moyens
utilisés par l'épouse de Gérard pour montrer à sa belle-mère qu'elle se fichait
éperdument de ses airs de grande dame et que celle-ci ne lui en imposait pas.
Bref, au fil des années, Lucille Morin avait dû en rabattre devant sa bru mal
dégrossie parce qu'elle désirait avoir la possibilité de voir son fils quand
son mari et elle avaient l'occasion de venir à Montréal.
     
    Les années
avaient passé. Conrad et Lucille avaient glissé lentement dans la vieillesse,
refusant obstinément de venir vivre à Montréal, comme le suggéraient leurs deux
enfants, Gérard et Colombe. Le sort allait trancher pour eux.
     
    Un matin de septembre
1948, Lucille avait trouvé son mari mort à ses côtés, dans leur lit. L'homme de
soixante-neuf ans s'était éteint durant son sommeil sans qu'elle s'en soit
rendu compte. Pendant un moment, Gérard avait cru que sa mère allait devenir
folle tant le choc de perdre son vieux compagnon avait été rude. Puis la vie
avait pris le dessus. Un mois plus tard, Colombe et son mari, Rosaire Nadeau,
étaient parvenus à persuader la vieille dame de venir demeurer chez eux. Depuis
quatre ans, Gérard avait l'esprit tranquille quand il songeait à sa mère. Elle
vivait maintenant en sécurité chez sa
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