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Vers l'orient

Vers l'orient

Titel: Vers l'orient
Autoren: Gary Jennings
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Noir Michel, un esclave originaire de Nubie,
attendait près de notre bateau attaché à son poteau rayé. L’embarcation,
graissée de frais, resplendissait de toutes ses couleurs. Ma mère et moi y
montâmes et nous installâmes sous le dais. Pour l’occasion, je portais de beaux
habits neufs : une tunique marron en soie de Lucques, si je me souviens
bien, et des chausses à semelles de cuir. Du coup, tandis qu’il nous propulsait
le long de l’étroit rio San Felice, notre pilote ne cessait de s’extasier à mon
sujet, proférant des compliments tels que : «  Che
zentilomo ! » ou «  Dasseno, xestu, messer
Marco ? » (ce qui signifie : « Quel
gentilhomme ! » ou « Vraiment, c’est bien vous, messire
Marco ? »). Si ces manifestations d’admiration inaccoutumées me
rendaient assez fier, elles me mettaient aussi un peu mal à l’aise. Il ne finit
par se taire qu’en faisant virer le bateau sur le Grand Canal, où l’important
trafic batelier requérait toute son attention.
    C’était l’un des plus beaux jours qui puissent régner
sur Venise. Le soleil brillait mais, loin de darder sur la ville des rayons
aigus, sa lumière s’y répandait de façon diffuse. Il n’y avait ni brouillard de
mer ni brume de terre, ce qui ne limitait en rien la luminosité. Plutôt que de
jeter des rayons directs, le soleil semblait briller d’une clarté plus subtile,
de celles dont luisent les bougies sur un riche chandelier de cristal. Qui
connaît Venise a forcément déjà admiré cette lumière : comme si des perles
rose pâle et bleu ciel avaient été brisées et réduites en poudre... Une poudre
si fine que ses particules flotteraient dans l’atmosphère sans en atténuer
l’intensité, mais en lui donnant un aspect plus lustré et plus doux. Cette
lumière provenait d’autres lieux que le ciel. Réfléchie par les eaux dansantes
des canaux, elle faisait virevolter sur le vieux bois, la brique et la pierre
des murs de petites taches et des paillettes de ces perles poudreuses,
adoucissant ainsi leur texture inégale. Ce jour semblait, telle une peau de
pêche, comme ganté d’un velours apaisant.
    Notre bateau glissa sous le principal pont du Grand
Canal, le ponte Rialto, le vieux et bas ponton avec sa partie centrale
amovible, pas encore reconstruit à l’époque sous sa forme actuelle de pont
basculant. Nous passâmes ensuite le marché d’Erbaria où, après leurs nuits de
beuverie, les jeunes gens vont flâner au petit matin pour se nettoyer la tête
dans le parfum des fleurs, des herbes et des fruits. Enfin, nous quittâmes à
nouveau le canal pour nous engouffrer dans un autre passage étroit et, après
l’avoir remonté sur une courte distance, nous débarquâmes au campo San Todaro,
ma mère et moi. Autour de ce square sont situées toutes les écoles primaires,
et, à cette heure, l’espace libre bruissait de garçons de tous âges occupés à
jouer, courir, plaisanter et lutter au corps à corps en attendant d’entrer dans
leur classe.
    Ma mère me présenta au maître d’école et exhiba devant
lui les documents d’état civil nécessaires à mon inscription sur le Livre d’or
(le « Livre doré » est le nom familier que l’on donne au registre du
protocole dans lequel les Républiques répertorient les noms des membres de
leurs familles de haute lignée). Frère Evariste, homme à la fois corpulent et
d’aspect sévère, parut tout sauf impressionné par ces documents. Il les
regarda, et bientôt laissa fuser en grognant : « Brate ! » ,
mot peu élogieux qui désigne un Slave ou un Dalmate. Ma mère riposta d’un petit
reniflement très grande dame et murmura :
    — Né de parents vénitiens, sur le sol de Venise.
    — Hum ! Bon, c’est possible..., grommela le
frère. Mais élevé à Venise, pas encore. Tant qu’il n’aura pas suivi un
apprentissage convenable et connu la rigueur de la discipline scolaire...
    Il se saisit d’une plume d’oie et, frottant la pointe
dans le but, je suppose, de la lubrifier, sur la peau brillante de sa tonsure,
il la trempa ensuite dans un encrier et ouvrit un livre de taille
impressionnante.
    — Quelle est la date de sa confirmation ?
demanda-t-il. Ou de sa première communion ?
    Ma mère les lui indiqua, non sans ajouter avec une
certaine hauteur que, contrairement à la plupart des autres enfants, on avait
veillé à ce que, depuis ma confirmation, je retienne par cœur le
catéchisme : je pouvais réciter sur
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