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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier
Autoren: Robert Margerit
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l’œil de verre courait chez le docteur Pelletan, des gens, escaladant l’escalier, avaient trouvé dans l’antichambre le commissionnaire Laurent Bas courbé sur une femme jetée à terre. Ils l’avaient aidé à la relever tout en la maintenant. D’autres avaient vu Lafondée, le chirurgien-dentiste qui habitait l’autre appartement, sortir de la salle de bains de Marat, dont il portait dans ses bras le corps nu, dégouttant d’eau et de sang. Au milieu des cris et des gémissements des deux sœurs Évrard, il l’avait couché sur le lit. Marat essayait encore de parler. C’était affreux. Les derniers battements de son cœur poussaient par saccades le sang à travers une plaie béant sur le côté de la poitrine. Lafondée s’efforçait vainement d’en comprimer les lèvres. Le poste du Théâtre-Français était survenu et, s’assurant de la meurtrière, avait refoulé tous ceux qui n’habitaient pas la maison.
    Les sectionnaires en armes gardaient à présent la porte cochère dont on avait fermé les vantaux. Ils s’ouvrirent pour les quatre députés. Les traces de multiples pas humides et sanglants salissaient le porche, l’escalier. Un filet rougi découlait sur le carrelage du palier entre les pieds de quelques gardes nationaux. Avant même la porte, on entendait les plaintes et les gémissements de Simone Évrard, par-dessus la rumeur assourdie qui régnait dans l’appartement. Quatre soldats remplissaient la petite antichambre sombre. D’autres, dans la cuisine, aidaient Jeannette, sanglotante, à rassembler des balais, des serpillières pour nettoyer un peu. L’eau empourprée qui avait débordé de la baignoire ou ruisselé du corps tandis que le dentiste l’emportait, le sang qui avait jailli, éclaboussant les murs, les boiseries, les meubles, se mêlaient et se répandaient à travers la salle à manger jusque dans l’antichambre. Tout le monde piétinait là-dedans et tachait le tapis du salon où le juge de paix du Théâtre-Français, venu avec les soldats, interrogeait la criminelle.
    Dans la pièce spacieuse, aux rideaux drapés, aux fauteuils de damas bleu et blanc, le lustre de cristal et les flambeaux sur la cheminée, entre les grands vases garnis de fleurs, éclairaient un mélange confus de gardes nationaux, avec leurs buffleteries blanches, leur chapeau à plumet rouge, leurs armes, et d’hommes barrés d’écharpes tricolores : administrateurs de la police, commissaires de la section, membres du Comité de Sûreté générale, municipaux. Dubon était là, près de la malheureuse Simone effondrée entre les bras de sa sœur Catherine, sur l’ottomane. Installé au secrétaire, un scribe en carmagnole de basin brun notait rapidement questions et réponses. Gaillard-Dumesnil, le juge de paix, pressait la prisonnière encadrée par deux soldats.
    On l’avait fait asseoir. Une cordelette liait ses mains gantées. Elle n’était pas vraiment jolie, mais très plaisante, fraîche et d’un beau blond, les yeux bleus, la bouche bien dessinée, la peau marquée de petite vérole. Son déshabillé blanc moucheté, son chapeau noir à haute forme, orné de rubans verts, son fichu gardaient quelques traces de l’empoignade qui avait suivi l’assassinat. Mais on l’avait laissée rajuster sa toilette. À présent elle se tenait là, très ferme, sûre d’elle et d’avoir bien agi. Elle ne trahissait d’émotion que lorsqu’elle portait les yeux sur Simone Évrard dont la douleur semblait la déconcerter et l’oppresser. Autrement, elle répondait à toutes les questions avec une incroyable sérénité. Elle se nommait Marie-Charlotte Corday. Elle était venue de Caen, où elle vivait avec une vieille tante, pour tuer Marat. Non, personne ne l’avait poussée à cet acte. Elle l’avait conçu seule, comme le seul moyen de délivrer son pays de l’anarchie sanglante dans laquelle le plongeait ce monstre. Oui, elle fréquentait à Caen les députés proscrits par la tyrannie de Marat, mais aucun d’eux ne connaissait son dessein. Elle l’avait exécuté par ses seules ressources.
    Avant de la voir, Claude se figurait la meurtrière comme une virago furieuse. Il considérait avec étonnement cette jeune fille de noble maintien, élégante, d’apparence sage, douce, si féminine, qui avait porté en elle pendant des jours la pensée de tuer et venait de la réaliser avec un extraordinaire sang-froid. Arrivée l’avant-veille dans Paris dont elle ne connaissait
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