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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu
Autoren: Maurice Denuzière
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accédant pour les besoins du service à l'intimité des New-Yorkaises ou des Bostoniennes, rêvaient d'un soutien-gorge de dentelle, d'un porte-jarretelles, de bas de soie et découvraient que les médecins avaient condamné le port du corset, « nuisible à la santé ».
     
    Il paraissait bien loin le temps où lady Lamia s'opposait à la construction d'un pont, entre son îlot et Soledad, pour protéger ses Arawak des méfaits et turpitudes de la vie coloniale à la mode britannique. Les petits-enfants des Indiens de Buena Vista, qui craignaient le baiser d'une sirène des trous bleus et voyaient les cornes de Belzébuth émerger d'un nuage, étaient devenus scaphandriers ou maçons et n'aspiraient qu'à voler dans un hydravion, pour rejoindre, en trois heures, le père, valet de chambre à Saint Augustine, ou l'oncle, chauffeur de taxi à Key West.
     
    Ces constatations, de plus en plus fréquentes, et les projets grandioses de son fils, qui entendait faire de Soledad et Buena Vista, la station balnéaire la plus select des West Indies, conduisirent lord Pacal à remettre son mode de vie en question.
     
    Les jeunes adultes insulaires, qui, tous maintenant, savaient lire, écrire et compter, garçons et filles dont il ne doutait, ni de la loyauté ni du dévouement, ne lui manifestaient plus, comme autrefois leurs aînés, la vénération des sujets pour leur prince. Il restait, certes, le maître de Soledad, mais comme propriétaire de l'île, non comme souverain héréditaire d'un minuscule État. Au temps de lord Simon, aucun indigène n'eût quitté l'île sans l'autorisation de son grand-père. Aujourd'hui, les gens allaient et venaient, par le bateau-poste, sans même songer à informer Cornfield Manor de leurs déplacements.
     
    De surcroît, les jeunes hommes, peut-être plus assidus au travail que leur aînés, mais dans la limite d'horaires fixes, avaient décidé, quelques mois plus tôt, la création d'un club réservé aux seuls natifs indiens de l'île. Ne pouvant accéder au Loyalists Club – institution privée, gérée comme un club londonien de Pall Mall, dont les membres étaient cooptés parmi les Blancs d'origine européenne, de préférence britannique –, les fondateurs de l'Arawak Club matérialisaient une ségrégation jusque-là, volontairement, ignorée par les uns, admise par les autres.
     
    Lord Pacal, comprenant le sens d'une telle démarche, avait offert aux nouveaux clubmen un terrain, près du village des artisans. Il leur avait attribué une subvention, pour la construction de leur local.
     
    Sollicité de présider l'inauguration, en compagnie du cacique Palako-Mata, il s'y était rendu, après avoir fait livrer un portrait du roi George V, qui fut suspendu près de celui, partout présent, de Sa très Gracieuse Majesté la défunte reine Victoria.
     
    Le président du nouveau club, un petit-fils de Sima, lui avait remis une carte de membre en souhaitant sa présence, quand bon lui semblerait. Leur journée de travail achevée, les descendants des premiers occupants de Soledad et de Buena Vista allaient, maintenant, vider quelques verres de bière entre amis, les jeunes préférant cette boisson au vin de palme et aux alcools distillés au village des Arawak. « Manque plus qu'un club pour les nèg'es », avait grommelé un jour le vieux Timbo. Il désapprouvait les jeunes Arawak, qui voulaient, en tout imiter, les Blancs. « Un club de Noirs, Timbo, Soledad en aura un, d'ici peu, à mon avis. Après tout, chaque communauté peut posséder un lieu de réunion, pour boire et échanger des idées », avait répondu Pacal. « Vous allez pas, my lord , leur donner de la te''e et des guinées, à eux aussi ! » « Si les Noirs décident d'avoir un club, je ne pourrai moins faire que pour nos amis les Arawak. » «  My lord , faut que chacun 'este à sa place. Les clubs, c'est affai'e d'Anglais. Quand on commence à fai'e comme les aut'es, on devient aut'e que ce qu'on est, pas v'ai ? » avait sagement conclu Timbo.
     
    Chassant le souvenir de cette conversation, alors que la nuit tombait, lord Pacal alla, dans son cabinet de travail, se camper, face au portrait de son grand-père, qu'il interrogea longuement du regard.
     
    N'allait-il pas, en se préparant à livrer Soledad à son fils, trahir les Cornfield ? La mutation, déjà élaborée par George et Thomas, d'une principauté insulaire en station balnéaire, ouverte au tout-venant fortuné, eût
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