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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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s'économise. Il y a des
jours sans un coup de fusil. L'artillerie n'est pas bavarde, les
tranchées sont trop rapprochées. En octobre, ils
tuaient les leurs, on tuait les nôtres." Il m'a regardé
avec des yeux tristes. Il a soupiré : “Les hommes
attendent la relève pour après-demain. On avait bien
besoin que vous nous apportiez la merde."
    Quand
on est sorti, il a interrogé brièvement les cinq
prisonniers. En vérité, il ne voulait pas les
connaître, il ne voulait pas que ses soldats les connaissent.
Il m'a dit ensuite : “C'est encore pire que je craignais.
L'un est un fils de pute de provocateur, un autre n'a même plus
sa tête, un troisième ne sait que pleurer et supplier.
Si on voulait faire un exemple, le cul bien calé dans un
fauteuil d'état-major, c'est réussi. Mes hommes n'ont
pas fini de vomir et les boches de se fendre la gueule."
    Ce
n'était pas, en fin de compte, un mauvais cheval, ce
capitaine, de son vrai nom Favourier, mais on l'appelait Parle-Mal
pour son langage fleuri. Il m'a conseillé d'emmener les
prisonniers dans sa propre cagna, où l'on ne les verrait plus.
Il a demandé qu'on les délie et qu'on accompagne ceux
qui en avaient besoin à la feuillée.
    Un
peu plus tard, il a fait venir le lieutenant qui commandait à
Bingo Crépuscule, il l'a entretenu, hors de portée de
voix, des mesures à prendre. Le lieutenant, vingt-six ou
vingt-sept ans, nommé Estrangin, n'avait pas l'air plus ravi
que son Capitaine. Le sort de Bleuet surtout lui semblait aberrant.
    Il
a voulu à son tour lui parler. Après, il ne savait que
répéter : “Ce n'est pas Dieu possible. ”
Non, je vous le dis, mademoiselle, je n'ai rencontré personne,
ce jour-là, pour croire que le Bon Dieu, s'il existe, traînait
encore ses godillots dans le secteur.
    Nous
avons attendu la nuit dans cet abri où un petit poêle
était allumé, preuve qu'on ne craignait guère
d'être repéré par l'ennemi. En face aussi, j'ai
pu le voir, s'élevaient de paisibles fumées grises.
    Boffi
et moi étions restés avec les condamnés, mes
autres territoriaux, dehors, gardaient la porte. Six-Sous se tenait
près du feu pour que sèchent ses vêtements. Droit
Commun s'était endormi. Pendant une demi-heure au moins,
Bleuet m'a parlé de vous. Son discours n'était
qu'exaltation, redites, pensées désordonnées,
mais le torrent des mots charriait pèle-mêle des choses
vraies comme des galets blancs. J ' imaginais bien votre
fraîcheur, vos yeux clairs et comme vous deviez l'aimer. Il
était heureux, il était certain de vous revoir et qu'on
préparait votre mariage. Il vous l'a écrit, même
si la lettre n'était pas de sa main.
    C'est
là, dans la lumière des bougies et des lampes à
carbure, qu'il vous l'a écrit.
    L'idée
de laisser les condamnés envoyer un dernier message à
leurs proches n'est pas de moi, je dois vous l'avouer, mais du
lieutenant Estrangin. À un moment, il est revenu dans la
cagna, suivi d'un soldat qui apportait la soupe. Il a demandé
à Bleuet, qui refusait sa gamelle, s'il n'avait pas faim.
Bleuet a répondu tranquillement, avec le sourire : “J ' ai envie d'une tartine de miel et d'un bol de
chocolat." Et comme le lieutenant restait coi, le soldat qui
l'accompagnait, un Marie-Louise guère plus âgé
que votre fiancé, lui a dit : “Vous bilez pas, mon lieutenant. Je m'en vais tuer père
et mère pour vous trouver ça. Peut-être même
que j'aurai pas besoin d'être orphelin." Le jeune gars
était déjà dehors quand le lieutenant a
expliqué, comme une chose évidente : “ C'est Célestin Poux, la terreur des armées."
Après quoi, il a demandé si les prisonniers ne
souhaitaient pas écrire à leurs familles.
    On
a rassemblé des crayons et du papier. Célestin Poux est
revenu presque aussitôt avec un quart de chocolat et du miel.
Des cinq condamnés, trois étaient blessés à
la main droite mais, je vous l'ai dit, Cet Homme était
gaucher, il ne restait que Droit-Commun et Bleuet à ne pouvoir
écrire. Droit Commun s'est assis dans un coin avec la terreur
des armées pour lui dicter sa lettre. Moi, j'ai écrit
sur mes genoux celle de Bleuet. Les trois autres se sont installés
comme ils pouvaient.
    Avant
de retourner dans sa tranchée, le lieutenant les a tous
prévenus que leurs messages seraient détruits s'ils
contenaient la moindre allusion à la terrible situation dans
laquelle ils s'étaient mis. Plusieurs fois, sauf Cet Homme,
ils m'ont interrogé pour savoir s'ils
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