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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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disant : “Vous, on voit que vous êtes bien brave. Il faut que vous
attendiez le plus longtemps possible avant de nous fusiller. Le
président Poincaré va sûrement signer notre
grâce." J'ai vu dans ses yeux humides, très noirs,
qu'il n'y croyait plus lui-même. Je lui ai dit que je n'étais
pas là pour fusiller qui que ce soit et qu'il n'avait rien à
craindre tant qu'il serait avec mes hommes. Il m'a semblé que
ça le rassurait.
    D'instinct,
Droit Commun restait à côté d'un grand gaillard
de la Dordogne, un paysan de trente ans, taciturne mais attentif à
tout, qui, lui, n'avait pas de véritable surnom. L’Eskimo
et Six-Sous, pour l'avoir croisé au hasard des cantonnements
et des relèves, m'ont dit un peu plus tard qu'il avait la
réputation d'un solitaire, qu'il partageait ses colis comme
les autres mais gardait pour lui ses espoirs et ses tracas.
    En
plusieurs occasions, il s'était montré habile à
la bataille, mais rien de plus que pour survivre. Pour le désigner,
on disait “Cet homme", on ne l'avait pas entendu appeler
autrement.
    J' ai
essayé de parler à Cet Homme. Il m'a écouté
sans me regarder. Je lui ai dit que la Dordogne n'est pas loin de
chez moi, je lui ai offert une cigarette.
    Je
ne l'intéressais pas, la cigarette non plus. Comme je
m'éloignais, j'ai remarqué que Droit-Commun attendait
que cela pour pousser du pied, vers son compagnon, quelque chose par
terre. Cet Homme l'a ramassé de la main gauche, sa main
valide, l'a regardé, l'a laissé retomber. Avant de
quitter le village, quelques minutes plus tard, je suis retourné
à l'endroit ou il était assis pour retrouver l'objet
qui semblait si intéressant. C'était un bouton
d'uniforme britannique, orné d'une tête de caribou, avec
des lettres gravées sur le pourtour : Newfoundland, Terre-Neuve. J'étais content, même si cela
vous semble bête, d'avoir deviné sans qu'il me le dise,
rien qu'à la sûreté de sa main, que Cet Homme
était gaucher, mais je m'interroge encore sur son regard
pensif, un peu surpris, quand il a ramassé ce vieux bouton
sale.
    Peut-être
a-t-il deviné lui-même, sans que je le lui dise, quelque
chose qu'il était trop fier ou trop méfiant pour
demander.
    Bleuet,
votre fiancé, était à l'écart et
préférait rester debout. Il allait et venait en se
parlant à voix basse. À un moment, il a ramassé
de la neige dans sa main valide et l'a pétrie en une boule
qu'il a lancée maladroitement sur moi. L'ancien caporal
Six-Sous m'a dit : “Ne fais pas
attention, sergent. Il y a des heures qu'il n'a plus ses esprits ”.
    Nous
avons fait asseoir Bleuet. Pendant qu'on le soignait, il détournait
la tête pour ne pas voir sa blessure mais il souriait. Il m'a
dit : “Je suis bien content de rentrer chez moi."
    Et
Mathilde demande ce que Manech ne voulait pas voir et elle se retient
de pleurer, elle veut qu'on lui dise la blessure de Manech.
    Alors
Daniel Esperanza lui dit que Manech était amputé de sa
main droite mais qu'il avait été opéré
depuis plusieurs semaines et ne souffrait plus.
    Et
Mathilde ferme les yeux et presse très fort ses paupières,
agrippée aux bras de son fauteuil, et elle secoue la tête
pour chasser une image ou nier le destin. Après, elle reste
longtemps dans le silence, le front penché, regardant le sol :
du gravier, avec de ces toutes petites fleurs jaunes qui poussent
même dans le ciment, il y en a entre les dalles de la terrasse,
à la villa de Cap-Breton.
    Dès
qu'ils ont eu fini leur travail, reprend Esperanza quand Mathilde lui
fait signe que ça va mieux, qu'elle l'écoute, le
docteur et l'infirmier sont partis.
    Comme
il remontait dans l'ambulance, j'ai demandé au docteur s'il
pensait que Bleuet était un simulateur.
    Il
m'a répondu : “Je n'en sais rien. ” Et puis :
“Pour gagner quoi ? Que
pourrions-nous faire ? ” J ' ai
vu qu'il avait les yeux cernés, qu'il était découragé
de faire son métier à la guerre et plus encore de
soigner des hommes pour qu'on les exécute. Il n'avait pas
trente ans. C'était un Corse du nom de Santini. J'ai su qu'il
est mort lui aussi, deux jours plus tard, dans un bombardement, à
Combles.
    J' ai
fait de nouveau lier les prisonniers, bras dans le dos, comme il
m'était ordonné. Je ne voyais pas l'utilité de
le faire, ils étaient trop fatigués et nous étions
trop nombreux pour que l”un d'eux tente de s'enfuir, mais
finalement c'était mieux ainsi, cela nous évitait, en
cas de bêtise, d'avoir à
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