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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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guide dans le labyrinthe d'où Manech n'est pas
revenu. Quand il est rompu, elle le renoue. Jamais elle ne se
décourage. Plus le temps passe, plus sa confiance s'affermit,
et son attention.
    Et
puis, Mathilde est d'heureuse nature. Elle se dit que si ce fil ne la
ramène pas à son amant, tant pis, c'est pas grave, elle
pourra toujours se pendre avec.

Bingo Crépuscule

Août
1919.
    Un
jour, Mathilde reçoit une lettre d'une religieuse : un
homme qui se meurt dans un hôpital, près de Dax, veut la
voir. Son nom est Daniel Esperanza. Il était sergent dans la
territoriale. Il a rencontré Manech en janvier 1917, sur le
front de la Somme.
    Mathilde,
comme avant la guerre, vit la plus grande partie de l'année à
Cap-Breton, dans la villa de vacances de ses parents. Un couple de
quarante-cinq ans, Sylvain et Bénédicte, s'occupe
d'elle. Ils l'ont connue enfant. Ils la vouvoient seulement quand
elle leur en fait voir.
    Après
déjeuner, Sylvain conduit Mathilde à l'hôpital,
dans l'auto. Elle est installée à l'avant et ce qu'elle
appelle “sa trottinette” derrière. Sylvain n'aime
pas les hôpitaux, et Mathilde encore moins, mais celui-là
est presque rassurant, c'est une belle maison rose et blanche sous
les pins.
    Daniel
Esperanza est assis sur un banc au fond du jardin. Il a
quarante-trois ans et en paraît soixante. Il a ôté
sa robe de chambre. Il transpire dans un pyjama rayé beige et
gris. Il a encore toute sa tête mais ne fait plus attention à
rien. Sa braguette est ouverte sur des poils blancs. Plusieurs fois
Mathilde esquisse un geste pour l'inciter à la refermer,
autant de fois il lui dit, avec une détresse péremptoire :
“Laissez, ça n'a pas d'importance. ”
    Il
était exportateur de vins de Bordeaux, dans le civil. Les
quais de la Garonne, les voiles gonflées, les énormes
fûts de chêne, il a connu ces choses et elles lui
manquent, et aussi deux ou trois filles du port de la Lune dont il ne
savait pas, quand il était jeune, qu'elles seraient en fin de
compte les seules amours de sa vie. La mobilisation, en août
14, ne l'a privé de personne, ni père ni mère,
morts depuis longtemps, ni frère ni sœur qu'il n'a pas
eus, et les femmes, dans la zone des armées, il était
confiant d'en trouver partout.
    Il
dit cela d'une voix sans timbre, effilochée par ce qui le tue.
Pas avec les mêmes mots, bien sûr, Mathilde est une
demoiselle, mais ce n'est pas difficile à traduire : il a
toujours été un pauvre homme.
    Il
lance à Mathilde un regard orgueilleux pour ajouter qu'il ne
faut pas se méprendre, il était grand, fort et même
envié, avant sa maladie. Il lui montrera une photo. Il avait
belle allure.
    Et
puis deux larmes coulent sur ses joues
    Il
dit, sans les effacer : “je vous demande pardon. Jusqu'à
ces derniers jours, j'ignorais votre état. Bleuet ne m'a pas
raconté. Et pourtant, Dieu sait s'il m'a parlé de vous.

    Mathilde
pense qu'il convient d'interrompre les compassions inutiles par un
petit soupir. Elle pousse un petit soupir. `
    Il
dit encore : “Vous devez comprendre la misère mieux
que personne. ”
    Elle
n'a pas les bras assez longs pour le secouer un peu, elle est à
plus d'un mètre de lui, et elle se contient aussi de crier, de
peur que la surprise ne le retarde encore d'arriver à
l'essentiel. Elle se penche en avant et le presse d'une voix douce :
“Je vous en prie, où l'avez-vous vu ? Racontez-moi . Que lui est-il arrivé ? ”
    Il
se tait, pleurard, ridé, la peau usée jusqu'au
squelette, dans un poudroiement de soleil entre les branches que
Mathilde, croit-elle, n'oubliera jamais.
    Enfin,
il passe sur son visage une main qui n'en peut plus de vieillir, il
se décide.
    Le
samedi 6 janvier 1917, alors que son régiment se trouvait près
de Belloy-en-Santerre, à caillouter des routes, il a été
requis par la prévôté d'Amiens de conduire cinq
fantassins, condamnés à mort en conseil de guerre,
jusqu'à une tranchée de première ligne, dans le
secteur de Bouchavesnes.
    Il
a reçu ses ordres de son commandant, un homme d'habitude sec
et froid, qui lui a paru singulièrement troublé. Au
point de lui confier, avant de le laisser aller : “Faites
ce qu'on vous dit mais rien de plus, Esperanza. Si vous voulez mon
avis, c'est la moitié du Haut-Commandement qu'il faudrait
envoyer au cabanon. ”
    Mathilde
s'interdit de parler, peut-être n'a-t-elle déjà
plus de voix.
    Daniel
Esperanza, comme il lui était ordonné, a choisi dix
hommes de
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