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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi
Autoren: Jean-Michel Riou
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ne regrettait pas ce qu’elle avait fait pour lui.
    — Si tu n’avais pas été là pour témoigner, on m’aurait accusé d’être l’agresseur… En fait, tu n’étais pas obligée de venir à mon secours.
    Aurore baissa la tête et fixa le sol.
    — Le jour où tu es venu me voir en sortant de Montcler…
    L’émotion la submergeait, ses mots s’entrechoquaient.
    — François t’a blessé à la main…
    Cela venait lentement, comme un aveu trop longtemps contenu.
    — Je n’ai rien fait pour prendre ta défense et je t’ai laissé partir. Je m’étais juré, si l’occasion se présentait, de ne plus te tourner le dos. Voilà au moins une promesse accomplie.
    — Me crois-tu coupable de la mort de ton père ? demanda-t-il alors sans prudence, submergé par le flot contraire des sentiments qui bouleversait toutes ses convictions.
    Elle le regarda intensément :
    — Je l’ai vu tomber seul. Et il tenait une miséricorde qui t’était destinée.
    Elle balaya l’air lentement :
    — Quoi qu’il se soit passé, c’est lui qui a détruit sa famille en ne l’aimant jamais assez.
    Non, rien ne fonctionnait comme il l’avait imaginé. Aurore était là, le temps de l’enfance se recomposait, les années s’effaçaient. Pouvait-il faire de même avec ce qu’il avait produit ? Et combien tout serait différent ! Ce fut sans doute l’un des rares moments de l’existence de Toussaint Delaforge où le doute s’installa.
    — Aurore… commença-t-il.
    Et qu’allait-il avouer ? Mais on vint la prévenir que le marquis allait être déplacé dans sa chambre. Elle se leva, peut-être sourit-elle tristement, et lui assura-t-elle qu’elle revenait, mais c’était déjà trop tard. Ce qu’il aurait pu dire ne souffrait pas d’attendre. Aussi se décida-t-il à trouver Marolles. Il connaissait le chemin, redit-il à une servante, mais celle-ci secoua la tête. Le prêtre avait disparu.
    Et Toussaint comprit qu’il s’était enfui.

Épilogue
1664

Le Roi noir de Versailles
    L E CHOU GRAS DU RÉFECTOIRE , les nuits sombres du dortoir, le carrelage froid quand il posait ses pieds nus dessus, les œuvres de Tite-Live lues pendant les repas, la chapelle de Baltius, et le fouet de Passe-Muraille martyrisant son dos, tout défile, tout repasse et revient comme s’il était sorti hier du collège. Toussaint l’ignorait, mais il n’a rien oublié de son collège. Bruits, odeurs, images sont gravés à jamais – comme ces grilles derrière lesquelles se dessine la silhouette ascétique de Calmés.
    Il porte une vieille soutane usée qui pourrait être celle qu’a connue l’ancien élève. Il se tient droit et raide, mains dans le dos. Il se désintéresse de la rue, ne regarde que la cour de Montcler. Rien ne bouge chez lui et, depuis vingt ans, c’est la façon du préfet de discipline de se fondre dans le décor, de se faire oublier des élèves. Ainsi, de disparaître.
    Seule la tête bouge. Elle va par saccades, se tourne vers la gauche, et aussi vite sur la droite. Comme l’épervier, Calmés surveille ses proies, les petits bonshommes habillés de blouses grises. Delaforge corrige aussitôt. Non, il ne cherche pas à dévorer ses oisillons, mais, pour les rendre forts, il n’hésitera pas à leur apprendre la dureté.
    Un 5 septembre, alors qu’ils se retrouvaient – et c’était bien avant que tous ces événements ne les éloignent –, Calmés avait expliqué à Toussaint le sens de son éducation.
    — Je veux, disait-il, discipliner sans détruire. C’est ainsi que s’épanouit la personnalité de chacun. Ce qui ne tue pas rend plus fort. Dans ton cas, je crois avoir réussi, et même un peu trop !
    À l’époque, ils prenaient plaisir à se voir. Du moins, lui, Passe-Muraille , suivait-il avec intérêt les progrès de son protégé chez Pontgallet et tout se déroulait au mieux. Mais ce dimanche 21 septembre 1664, plus rien n’existe. Dix heures vont sonner. Viendra la messe. Ensuite, ils iront ensemble, les prêtres et les pensionnaires, au réfectoire où les effluves de chou leur sont familiers, où l’histoire de Rome les attend. Et le jésuite s’accrochera à la quotidienneté de son apostolat jusqu’à ce que les forces lui manquent.
    La cloche sonne, en effet, et le préfet de discipline se défait de ses airs de statue. Il se remet en mouvement, tape dans les mains pour rassembler ses troupes et produit un regard circulaire comme le père protecteur sur ses petits. Y en
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