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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev
Autoren: André Maurois
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camouflées.
    Troisième trait. Ce pays, où l'on voudrait étouffer toute liberté de jugement, contient pourtant une classe cultivée dont la pensée n'est pas sans hardiesse. Dès le temps de Catherine, une partie de la noblesse russe des grandes villes a été imprégnée des idées des philosophesfrançais. On trouve, dans les papiers de l'impératrice elle-même, des projets de suppression du servage. Beaucoup de jeunes nobles élevés par des précepteurs français ont été nourris de Voltaire, de Diderot, de Rousseau. Des abbés défroqués, encyclopédistes, leur ont enseigné la dangereuse sagesse du dix-huitième siècle français. Les officiers qui, avec les armées alliées, ont, en poursuivant Napoléon, traversé l'Europe et vécu à Paris, reviennent de France conquis par leur conquête et sont indignés, dans les campagnes russes, par les ventes de serfs et les châtiments corporels. De nombreuses sociétés secrètes, l'Union du Nord, l'Union du Sud, l'Union slave, répandent ces idées. L'ambassadeur de France, La Ferronnays, peut dire un jour à l'empereur Nicolas, avec vérité, que toute la haute société russe fait partie de l'opposition.
    L'absolutisme est possible dans une société qui en accepte le principe; il est instable dans une société qui a, tout près d'elle, l'exemple d'une civilisation différente et en somme plus heureuse. La Russie de 1820 n'est pas en équilibre. C'est un état politique dangereux pour une nation, mais c'est un état favorable à la formation de grands romanciers, parce que les passions y sont fortes, les changements soudains et frappants.

    Le décor étant ainsi placé, nous pouvons essayer d'y situer notre personnage. Dans cette société, où un seigneur est tout-puissant si on le considère dans ses relations avec ses vassaux, et au contraire privé de toute liberté si on le considère par rapport aux grands fonctionnaires et au Tsar, Tourguéniev naît à mi-chemin.
    Il appartenait à une famille de petits propriétaires terriens, famille noble, d'origine tatare. Un des ancêtres des Tourguéniev, venu d'Asie, était, disait-on, entré au service de Moscou vers l'an 1400. Ses descendants avaient été généraux, gouverneurs de provinces, puis leur fortune avait pâli. Au dix-huitième siècle, les Tourguéniev ne possédaient plus qu'une centaine d'âmes et un village, Tourguenievo, dans le gouvernement d'Oryol. Le père de l'écrivain, Serge Ivanovitch, était un officier de cuirassiers, presque ruiné.
    Mais le chef de famille n'est pas ici le père. La mère de Tourguéniev était une Loutovinov, d'une famille peu connue, mais riche. Tourguéniev s'est beaucoup servi de sa terrible famille maternelle pour y trouver des sujets de nouvelles. C'était une race de Borgia, sauvage et sans frein. Crimes, incestes, étaient nombreux dans leur histoire. La grand'mère de Tourguéniev passait pour avoir, étant paralysée et incapable de quitter son lit, blessé à coups de béquilles, puis étouffé sous un oreiller, le jeune serviteur qui la gardait. La mère de Tourguéniev avait hérité de cette violence. Elle avait eu elle-même une jeunesse bizarre, ayant vécu avec un de ses oncles dans des circonstances suspectes, mais cet oncle était mort, lui laissant un grand domaine, Spasskoïe, une fortune, vingt villages et plus de cinq mille âmes.
    Varvara Petrovna Loutovinov, jeune fille de goûts masculins, montait à cheval, chassait à courre et à tir, et battait les hommes au billard. Elle était instruite et même douée d'un goût littéraire assez fin. « De quelle couleur est l'eau du Rhin? » disait-elle plus tard à son fils. Il fallait répondre : « Couleur de raisins verts. » Elle avait de beaux yeux, un menton énergique, mais un nez trop large, qui devint bleu. Passionnée, autoritaire,elle eût désiré être aimée, mais ne plaisait guère. A la ville voisine de Spasskoïe, elle rencontra un bel officier de cuirassiers, Serge Ivanovitch Tourguéniev. Elle avait six ans de plus que lui, mais décida qu'elle l'épouserait. Ce fut elle qui fit toutes les avances. Il se défendit peu; un officier sans fortune résiste mal à une jeune fille énergique qui apporte cinq mille âmes. D'ailleurs, avec l'apparence d'un géant, il avait l'âme étrangement féminine. Vers 1860 un portrait de lui était accroché à Spasskoïe et les visiteurs de Tourguéniev pensaient que ce père n'avait pas l'air d'un homme, mais d'une femme, ou plus
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