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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev
Autoren: André Maurois
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visage aux traits kalmouks, entouré d'une énorme crinière de cheveux châtains brossés en arrière, était beaucoup plus rude que celui de son ami.Sa jeunesse avait été plus tourmentée. Il s'était révolté contre son père, contre le tsar. Il avait fait partager son exaltation à ses sœurs qui, vestales d'un culte fraternel, l'attendaient en lisant Jean-Paul et Novalis et en lui écrivant des lettres brûlantes. Bakounine intéressa passionnément Tourguéniev. Tantôt celui-ci admirait l'éloquence violente de son nouvel ami; tantôt il le soupçonnait de loger, comme lui-même, une âme faible dans un corps vigoureux.
    En ces années de Berlin, Bakounine, comme d'ailleurs Herzen, était encore un modéré. Le philosophe que toute cette jeunesse reconnaissait pour maître était Hegel. Parce que Hegel enseignait que tout ce qui est réel est rationnel, ses disciples acceptaient la société telle que l'avait formée l'histoire. Les nouveaux amis de Tourguéniev lui affirmèrent que la création est en marche vers une conclusion divine, et que l'histoire n'est que le développement de la raison universelle. Si un ami, venu d'un groupe plus radical, disait qu'un mendiant affamé suffit à détruire l'harmonie de la nature, les philosophes hégéliens répondaient : « Même si nous ne comprenons pas une situation particulière, nous sommes certains que l'Esprit et la Raison règnent dans l'Univers. »
    Les hommes demandent presque toujours à une doctrine d'être une justification rationnelle de leurs sentiments et de leurs actions. Les jeunes Russes de 1840, soumis à un souverain qu'ils savaient despotique et qu'ils adoraient malgré eux, croyaient trouver dans la Philosophie du Droit de Hegel des excuses pour leur résignation. L'Etat, leur disait-on, est un organisme vivant. Il est tel que l'a fait l'histoire. Un individu, un groupe ne saurait le transformer à sa fantaisie. « Aussi il n'y a pas à discuter sur la nécessité d'une obéissance absolue au Tsar, cela est clair en soi... »
    Tel était le hégélianisme de droite, mais déjà Herzen entrevoyait que du même Hegel on pouvait tirer la preuve de la légitimité de tout combat contre l'autocratie. Car si tout ce qui est réel est rationnel, le révolutionnaire, être réel, fait partie lui aussi du plan de l'histoire. « Si l'ordre social existant est justifié par la raison, toute lutte contre lui, du moment qu'elle existe, est justifiée de même. » Ainsi naissait une philosophie hégélienne de gauche et il apparaissait une fois de plus que les hommes, lorsqu'ils abandonnent le support solide des réalités concrètes, parlent en vain et que le langage, instrument, ne doit pas devenir religion. « La colombe légère, dit Kant, peut croire qu'elle volerait plus aisément dans le vide. »
    Il semble que Tourguéniev, tout en participant à ces orgies spirituelles, ait toujours, lui, conservé le contact avec la terre. Il mêlait alors des idées exaltées sur la divine essence de l'amour à une vie de débauche assez médiocre. A cela il était curieusement encouragé par sa mère, qui exigeait qu'il lui confiât sa vie la plus intime. « Tu es mon étoile, lui écrivait-elle. Ma vie dépend de toi. » Dans son journal, elle notait : « Jean est mon soleil; je ne vois rien que lui. Quand il s'éclipse, je n'y vois plus. » Quelquefois elle lui écrivait : « Ma chère fille, ma Jeannette, tu es ma favorite. » Entre la mère masculine et le fils efféminé, le renversement des rôles était complet. Elle se déclara très satisfaite quand il prit une maîtresse de quarante ans : « J'ai toujours souhaité pour toi l'amour d'une femme d'expérience et d'âge moyen. Ce sont de telles femmes qui élèvent la jeunesse. L'avantage est mutuel; la femme est flattée, et l'homme a le bénéfice de son expérience 7 . » Elle étaitmasculine jusque dans son cynisme. Cependant son fils parlait sans fin de Hegel, au milieu de monceaux de tabac, qui, sur les meubles, rappelaient les meules de fourrage de Spasskoïe et les étudiants russes de Berlin goûtaient le thé remarquable dont Varvara Petrovna approvisionnait son fils bien-aimé.
    ***
    A vingt-deux ans, il revint d'Allemagne. Il fut heureux de retrouver les étangs, les cygnes, les vieux serviteurs, l'odeur du lin, du sarrasin, et le feuillage pâle des bouleaux. Il était grand chasseur, et tout de suite reprit son fusil. Y avait-il plus grand plaisir que de se mettre en route, au printemps,
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