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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev
Autoren: André Maurois
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caractèremasculin avait évidemment été accentué par l'éducation qu'il avait reçue. Mais c'est un trait plus général et que Meredith, de son côté, a observé et décrit. Les êtres incapables de passion admirent la passion et la trouvent plus souvent, à l'état pur, chez la femme que chez l'homme.
    Peut-être aussi Tourguéniev était-il déjà un esprit trop honnête et trop précis pour être capable d'abandon. Il y a de l'aveuglement volontaire et comme une voluptueuse folie en tout sentiment violent. L'exactitude déplaît aux êtres enthousiastes et les irrite mais, en même temps, l'enthousiasme exaspère les êtres tranquilles qui ont un merveilleux flair pour y déceler la moindre trace d'artificiel. Tourguéniev écrivit un jour une nouvelle sur une vieille fille qui aime un étudiant, et il la termina ainsi : « Mais la jeunesse reprit ses droits. Un matin il se réveilla avec une haine si féroce pour sa "sœur et sa meilleure amie" qu'il en battit presque son valet et que, longtemps après, il fut prêt à mordre à la plus légère allusion que l'on faisait à un amour "exalté et désintéressé 10 ". »
    Shelley lui-même avait connu de telles fureurs au temps de miss Hitchener. Les femmes amoureuses, quand elles le sont d'un homme intelligent, savent, par un mimétisme inconscient et adroit, masquer leur désir d'un accord doctrinal. L'homme se refuse à ce jeu et quand il le découvre, l'abandonne assez brusquement. De tels malentendus il faut accuser le génie de l'espèce plus que la mauvaise foi des individus.
    ***
    Qu'allait faire dans la vie Ivan Sergueievitch Tourguéniev? Il avait eu envie de devenir professeur de philosophie; il y renonça vite, comme à toute autre carrière. Sa mère admettait très bien l'idée qu'il ne fût qu'un oisif : « Tu ne veux rien faire ? Dieu te bénisse. Ne fais rien. Vis tranquillement où tu voudras, comme tu voudras... Tu aimes écrire, te promener, chasser, voyager? Qui t'en empêche? Passe l'hiver à Pétersbourg, amuse-toi, va au théâtre. Le printemps, reviens à la campagne, l'été nous voyagerons. En automne, tu chasseras. Vis et laisse-nous vivre auprès de toi. »
    Mais vivre auprès d'elle n'était pas facile. En vieillissant, elle devenait de plus en plus excentrique et violente. Si elle se réveillait le dimanche de Pâques de mauvaise humeur, elle ordonnait de ne pas faire sonner les cloches des églises de ses vingt villages et décrétait que, puisqu'elle n'était pas assez bien pour jouir de la Semaine Sainte, il n'y aurait cette année-là de Semaine Sainte pour personne. Elle faisait détourner une chute d'eau parce que celle-ci dérangeait son sommeil. Il y avait une certaine bouillie que l'on ne faisait à son goût que dans un village distant de plusieurs verstes. Elle se la faisait apporter par des relais de cavaliers, pour qu'elle arrivât toute chaude. Ivan, le démocrate Ivan, entrait parfois en conflit avec sa mère au sujet des serfs. Il était d'ailleurs toujours vaincu et acceptait aisément sa défaite.
    Il essaya de s'éloigner de cette « Génitrix », de vivre à Pétersbourg dans le monde, et d'y jouer le rôle d'un Don Juan ou d'un Manfred, car il était grand lecteur de Byron et fort romantique lui-même. On n'y prit pas son romantisme très au sérieux. Ce Don Juan timide faisait sourire. « Il y avait en lui, disait Annenkof, une combinaison de résolution et de prudence, de hardiesse et decalcul. » Il écrivait des poèmes, des comédies, des drames. Il discutait sans fin, en particulier avec le critique Bielinski « sur l'Occident, sur la Russie ». Là encore, comme à l'Université, on parlait, parlait, parlait... « Eh quoi? criait Bielinski après six heures de discussion, nous ne savons pas encore si Dieu existe et vous voulez dîner? »
    En ce temps-là le monde littéraire de Pétersbourg était divisé en deux coteries. Il y avait les slavophiles, qui souhaitaient trouver dans la pureté et la simplicité de l'âme russe la matière à la fois de leur art et de leur philosophie. « Pour les slavophiles tout ce qui était russe était admirable et sacré, la religion orthodoxe, la vie russe, l'art russe... Avec l'aide de la Providence, la Russie devait servir de phare pour guider la marche tâtonnante de l'humanité. » Au contraire les Occidentaux soutenaient que la Russie devait se mettre à l'école de l'Occident. Tourguéniev, étudiant de Berlin, grand lecteur de Schiller, admirateur de George
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