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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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pur style années 30, des chapelets de fines bulles dansaient allègrement dans ce breuvage doré que ne manqueraient pas de porter aux lèvres les deux complices, le moment venu.
    — L’affaire Lautrec restera dans les annales, croyez-moi ! Le commanditaire, car pour le coup Montana n’a été qu’un exécutant zélé, est un bien étrange individu. Un autodidacte parfait, qui a réussi dans les travaux publics, un dénommé Henri de Lapèze, qui a cru bon de s’inventer une particule lorsque sa fortune s’est mise à croître. C’est un vieil homme, à présent en fauteuil roulant, qui n’a pas été autrement surpris quand nous sommes venus le cueillir.
    — Racontez-moi vite ! trépigna Cantarel.
    — Lapèze avait acheté le château de Gincla, dans la haute vallée de l’Aude. En fait de château, c’était plutôt une ancienne bastide qu’il s’était employé à restaurer et surtout à meubler avec des œuvres et du mobilier qu’il emportait à prix d’or dans les salles des ventes de Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Cannes, ou même Monaco. À Drouot aussi…
    — C’est comme ça qu’il a rencontré Montana ? présuma Séraphin.
    — Absolument. Ramón était bien plus qu’un antiquaire auprès duquel le nouveau riche se fournissait parfois. C’était son conseiller en œuvres d’art, son décorateur aussi. Il suffisait que Lapèze émette un vœu, aussi fantasque soit-il, pour que Montana s’exécute sur-le-champ…
    — D’autant qu’il en avait… renchérit Cantarel.
    — Pardon ?
    — Du pèze ! souligna Séraphin.
    — Excellent ! Du coup, j’en perds le fil de mon histoire…
    — Vous disiez, cher commissaire, que le Catalan était son mentor, son fournisseur, son décorateur et peut-être son amant.
    — Ça, je n’en sais fichtre rien et, en vérité, je m’en contrefous. Toujours est-il qu’Henri de Lapèze…
    Le policier se jouait dans la voix de ce faux titre nobiliaire.
    — … était originaire de Salles-d’Aude, à côté de Coursan. Ses parents étaient de modestes paysans qui tiraient le diable par la queue. Avant son mariage, sa mère Adeline était entrée au service des Tapié de Céleyran. Elle n’avait pas seize ans quand elle s’est fait engrosser, la nigaude, par un garçon de ferme ! L’enfant est né prématurément et, un soir d’orage, prise de panique, elle l’a abandonné devant la grille du château. Charitables, les Tapié de Céleyran ont recueilli le nouveau-né qu’ils ont confié à une préceptrice, une certaine Émilie Salvat, laquelle a élevé le petit garçon du mieux qu’elle put. Elle l’a baptisé Routy et, plus tard, l’adolescent pas très doué de la tête loua ses bras auprès des métayers des Tapié de Céleyran.
    — C’est le Routy peint par Lautrec ?
    — Parfaitement !
    — Ce garçon était donc le compagnon de jeux du peintre au même titre que son cousin Gabriel ?
    — Je ne vous le fais pas dire, Cantarel. Ces œuvres-là avaient, aux yeux de Lapèze, une valeur inestimable. Il voulait, disait-il, pouvoir les contempler chaque jour que Dieu faisait.
    — Ce qui voudrait dire que ce Routy était son frère ?
    — C’est ce qu’il prétend ! Sa mère lui aurait révélé ce secret sur son lit de mort ; quant à son père, il ne s’est jamais senti concerné par ce rejeton illégitime, né d’une partie de jambes en l’air dans les foins.
    — Tout s’explique ! s’extasia Cantarel en réajustant son nœud papillon. Mais pourquoi avoir volé, ou fait voler, aussi l’autoportrait de Toulouse-Lautrec ?
    — Routy, Gabriel Tapié de Céleyran, le petit Henri boitillant, mon cher Cantarel, appartenaient à l’enfance présumée de celui qu’il considérait comme son frère de sang.
    — Cette histoire est à peine croyable ! Quel âge a cet Henri de Lapèze ?
    — Quatre-vingt-seize ans !
    — N’est-ce pas plutôt un mythomane ou un parfait illuminé ? se soucia Cantarel.
    — Les quelques renseignements que j’ai recueillis laissent à penser qu’il disait peut-être vrai…
    — Pourquoi « disait », commissaire ?
    — Parce qu’il s’est éteint dans le fourgon cellulaire sur le chemin de la prison de Carcassonne.
    — Bon Dieu ! Comme c’est étrange… Les toiles sont-elles intactes ? s’inquiéta tout à coup Cantarel.
    — Elles étaient toutes les trois suspendues sur les murs du salon à Gincla, sans cadre, juste éclairées par des
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