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Toulouse-Lautrec en rit encore

Toulouse-Lautrec en rit encore

Titel: Toulouse-Lautrec en rit encore
Autoren: Jean-Pierre Alaux
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sur ces quais glissants et venteux où même les vendeurs à la criée de France-Soir avaient renoncé à hurler à tue-tête la mort subite de Joséphine Baker.
    Il était vraiment temps de retrouver les parquets cirés de l’hôtel particulier du 16 de la rue des Beaux-Arts. À n’en pas douter, sur la chaîne hi-fi, un 33 tours de Chet Baker égrènerait : «  She was too good to me  ». Hélène avait fait du trompettiste américain son idole. Séraphin n’avait jamais su qui du musicien, du chanteur ou de l’homme à la gueule d’ange séduisait le plus celle qui partageait sa vie depuis plus de vingt ans.
    Après avoir fréquenté la Sorbonne et fait l’École des chartes, Hélène Prudhomme s’était orientée vers l’archéologie. C’est sur le chantier d’une ancienne villa romaine, dans le Vaucluse, qu’elle avait rencontré Séraphin. Depuis, ils ne s’étaient jamais plus quittés. Leur histoire d’amour paraissait exempte de coups de canif. Hélène et Séraphin s’aimaient comme au premier jour. Jamais Cantarel n’eût cru la chose possible, lui le fils unique qui, son adolescence durant, avait dû essuyer les crises de ménage qui ébranlaient régulièrement l’attelage parental. Un père un peu trop beau, communiste jusqu’au bout des ongles, qui tutoyait et embrassait tout le monde, rentrant toujours très tard sous prétexte que les réunions du parti étaient interminables, voilà qui avait le don d’irriter sa mère. Elle voyait rouge. Ses craintes n’étaient pas infondées. Le père Edmond Cantarel passait pour un militant modèle, mais aussi et surtout pour un coureur de jupons draguant autant la bourgeoise que la prolétaire. Sur le terrain du sexe, et celui-là exclusivement, le camarade Edmond faisait preuve d’un grand œcuménisme. De guerre lasse, Élise Cantarel sombra dans la neurasthénie, puis dans la folie…
    Séraphin n’avait jamais songé à tromper Hélène. Sensible à la gent féminine, il savait s’attirer la sympathie de celles qui l’approchaient sous les ors de la rue de Valois, au Louvre ou à Chaillot, moins pour succomber que pour s’affranchir de l’univers masculin peuplant le monde des arts. La stérilité d’Hélène n’avait rien changé à leur bonheur. Ils s’étaient juré fidélité en l’église Saint-Eustache de Paris. Rien ne pourrait bousculer le cours de cette union. Bien sûr, ils avaient songé à adopter un enfant, mais les démarches étaient longues et pas toujours couronnées de succès. Alors le temps avait tué toute velléité de voir un jour un héritier porter le nom de Cantarel. Puis il y avait eu Théo. Un jeune homme de vingt-cinq ans, natif de la Corrèze, et que son amour des vieilles pierres, assorti d’un diplôme en histoire de l’art, avait propulsé dans les bureaux du musée des Monuments français. Par quelle ironie du sort, quel jeu d’influences, Théodore Trélissac s’était-il retrouvé l’adjoint de Séraphin Cantarel ? La réponse importait peu. Toujours est-il qu’entre les deux hommes, en dépit de leur différence d’âge, le courant était vite passé. Une relation complice s’était nouée entre les deux êtres qui n’étaient certes pas faits du même bois, mais appartenaient tous deux au même pays. Entre Quercy et Limousin, il y avait comme un cousinage que l’histoire de France s’était chargée de consolider quand ces provinces étaient menacées par les armées ennemies.
    D’un caractère bien trempé et toujours jovial, d’une perspicacité redoutable, d’une beauté qui devait relever du diable, Théodore était le fruit d’un légionnaire, membre du corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient, dont la bataille de Diên Biên Phu aurait raison cinq ans après sa naissance. Trélissac était le nom de jeune fille de sa mère, une femme sans malice et un peu trop pieuse qui croyait avoir enfanté comme la Vierge Marie, oubliant un peu vite le plaisir que lui avait procuré à la hussarde ce jeune homme aux yeux clairs qui l’avait couchée dans la paille. C’était un soir de novembre. La nuit était glacée et cloutée d’étoiles. À la TSF, on n’entendait plus que cet air-là : Ma cabane au Canada est blottie au fond des bois. On y voit des écureuils sur le seuil. Si la porte n’a pas de clé, c’est qu’il n’y a rien à voler…
    Puis le géniteur de Théodore était allé jeter sa semence plus au sud, dans les Cévennes ou en Camargue,
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