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Théodoric le Grand

Théodoric le Grand

Titel: Théodoric le Grand
Autoren: Gary Jennings
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peu, croyez-moi. L’opinion
la plus courante est que Théodoric est devenu irrémédiablement fou. Vous vous
doutez bien que le moindre égarement de sa part est instantanément répercuté
dans tout le pays. Ces nouvelles se propagent plus vite qu’un cheval au galop
et particulièrement dans les campagnes. Je peux par exemple vous conter dès à
présent tout ce qui s’est passé hier soir, au palais de Ravenne.
    Je lui demandai, plein d’appréhension :
    — Il s’est passé quelque chose ?
    — On a servi au roi un plat de poisson bouilli pour son
dîner, et…
    —  Liufs Guth ! Les cancans s’étendent
jusqu’au contenu de son assiette ? Que diable les gens peuvent-ils… ?
    — Attendez, attendez. Le roi a reculé d’épouvante
devant le plat, les yeux agrandis d’horreur. Au lieu de la tête du poisson
cuit, il y a vu le visage d’un cadavre. Celui de son vieil ami et conseiller,
Symmaque, le foudroyant d’un regard accusateur, plein de reproche. Le roi a
déserté la salle à manger en hurlant, à ce qu’on dit.
    — À ce qu’on dit, soit. Mais les gens à qui l’on
rapporte ces racontars, les croient-ils ?
    — J’ai le regret de vous dire qu’ils y croient, et
plutôt deux fois qu’une.
    Ewig renifla tristement.
    —  Saio Thorn, notre camarade et roi bien-aimé
n’est aujourd’hui plus appelé « le Grand »… Dans les rues, on ne
l’appelle plus Théodoric magnus, mais madidus… Théodoric
l’imbibé. Le poivrot !
    — Sûrement pas pour de simples histoires de poisson
cuit.
    — Sûrement pas, en effet. Les preuves se
bousculent ! Tenez, pas plus tard que ce midi, un messager du roi est
arrivé au galop et un nouvel édit a été publié. Êtes-vous passé par le forum, Saio Thorn ?
    — Pas encore. Je savais que tu disposerais de
meilleures informations que n’importe quel sénateur ou…
    — Vous vous souvenez comment nous nous rendions tous
deux au temple de la Concorde, pour que vous y parcouriez le Journal. Eh
bien, je ne sais toujours pas lire, mais c’est là que le nouveau décret a été
affiché. Les gens sont venus s’agglutiner des quatre coins de la ville pour le
lire et ils ont l’air révoltés. J’espère que j’apprendrai bientôt les mauvaises
nouvelles qu’il…
    — Nous ne pouvons attendre.
    Je l’attrapai par la manche.
    — Suis-moi !
    Ewig, un peu plus jeune que moi et largement plus massif, me
servit de bélier pour nous frayer un chemin dans la foule qui se pressait sur
la place. Ces gens bruissaient et grondaient, non pas à notre rude intrusion,
mais de consternation et de stupéfaction devant ce qu’annonçait le Journal. Cet
avis se composait bien sûr de plusieurs feuillets de papyrus, ayant été rédigé
par le prolixe Cassiodore. Mais j’avais l’expérience de sa logorrhée et il ne
me fallut pas longtemps pour repérer les phrases clés. Je fis signe à Ewig du
coude, il nous extirpa de la masse.
    Dès que nous nous retrouvâmes, quelque peu débraillés et
ébouriffés, sur un espace dégagé du forum, j’annonçai avec véhémence :
    — Cela ne peut plus durer, Ewig. Nous devons absolument
protéger notre camarade le roi de sa propre folie. Il faut qu’il reste à jamais
connu sous son nom, « le Grand ».
    — Donnez vos ordres, Saio Thorn.
    — Il n’y a rien que nous puissions faire ici. Je dois
rentrer à Ravenne, aux côtés de Théodoric. Et je ne reviendrai pas à Rome, mais
il se pourrait qu’il y ait plus tard quelques petites choses…
    — Vous n’aurez qu’à demander, Saio Thorn.
Envoyez un message et je m’y conformerai. Quoi que vous puissiez tenter pour
préserver le renom de notre bon roi, vous aurez la reconnaissance de tous ceux
qui l’ont aimé.
     
    *
     
    Je tins le même discours à Livia.
    — Cela ne peut plus continuer comme ça. Il faut
préserver Théodoric de lui-même. Le Journal annonce que le pape Jean est
mort dans la prison de Ticinum. De mort naturelle ou de la façon dont on a
exécuté le pauvre Boèce, je ne sais. Mais ce que je peux en déduire, c’est
qu’il est mort sans avoir soulagé les folles suppositions du roi, car son décès
semble l’avoir rendu littéralement enragé. Il a hélas déjà commis la pire des
folies. Il vient d’édicter un décret aussi abominable que celui qu’entendait
imposer Justin. Chacun peut à cette heure le lire sur le temple de la Concorde.
Toutes les églises catholiques du royaume vont être confisquées et
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