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Théodoric le Grand

Théodoric le Grand

Titel: Théodoric le Grand
Autoren: Gary Jennings
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ne succomba pas à une trop grande sénilité, ses proches
voisins, n’ayant pas le courage d’agir à son égard en rapaces, se contentèrent
d’attendre avidement d’en être les charognards.
    L’Église de Rome, qui n’avait cessé en vain, durant ces
trente dernières années, de tenter de lui mettre des bâtons dans les roues,
nourrissait toujours une implacable haine à son encontre. Depuis le pape Jean
jusqu’au dernier des ermites, presque tous eurent frémi de joie à l’idée qu’un
non-arien quel qu’il soit usurpât le trône. J’ai dit « presque »,
parce qu’il y avait bien sûr dans toutes les classes de la société des hommes
et des femmes qui, même poussés par leurs convictions à s’adapter aux vues de
l’Église plutôt qu’à réfléchir par eux-mêmes, étaient bien conscients du
désastre qu’entraînerait la chute du royaume des Goths.
    Les sénateurs romains s’en rendaient compte, eux aussi. La
majorité d’entre eux étaient catholiques, donc supposés abhorrer les ariens –
de surcroît, étant presque tous italiens de naissance, ils auraient logiquement
préféré être gouvernés par un Romain –, mais c’étaient des gens
pragmatiques. Ils étaient conscients que Rome, l’Italie et tout ce qui avait un
jour constitué l’ex-Empire romain d’Occident avait joui sous le règne de
Théodoric d’un sursis salutaire à sa décadence et d’une sécurité, d’une paix et
d’une prospérité sans égales depuis près de quatre siècles. Ils savaient aussi
que si un homme d’un talent moins affirmé que celui de Théodoric accédait au
pouvoir, il y aurait tout à craindre des menaçants voisins francs et vandales,
sans compter les peuples mineurs naguère alliés ou soumis qu’étaient les
Gépides, les Ruges ou les Lombards. Pour les sénateurs, « mieux valait des
barbares connus ». Un peu comme nous autres à la cour, ils débattaient des
mérites comparés des divers candidats au trône, sans écarter de la course nul
prétendant goth ou arien. Mais hélas, comme nous, ils n’en trouvaient aucun de
valable.
    Et bien que ces éminents personnages fussent légitimement
inquiets à l’idée de tomber sous la coupe d’une nation étrangère, celle qu’ils
craignaient par-dessus tout n’avait rien de barbare, puisqu’il s’agissait rien
moins que de leur vieux rival, l’Empire romain d’Orient. C’est justement leur
angoisse et leur appréhension à son égard qui furent à l’origine du plus
déplorable événement de cette funeste année 523.
    L’un des sénateurs nommé Cyprianus en accusa un autre,
Albinus, d’entretenir une correspondance coupable avec Constantinople. Cela
n’aurait pu être qu’une vaine calomnie ; il était courant, en effet, que
les sénateurs s’accusent mutuellement des pires exactions, juste pour en tirer
un avantage politique. Malheureusement, il advint, et mes sources le confirmèrent,
que le nommé Albinus avait bel et bien engagé une conspiration avec l’ennemi.
Mais hélas, ce n’était pas encore le plus grave.
    Ce qui eut la conséquence la plus désastreuse, c’est
qu’Albinus, l’accusé, était un ami proche de Boèce, le magister officiorum. Si
ce dernier s’était tenu à l’écart de cette affaire, il n’en serait rien advenu
de plus. Mais c’était un homme droit, incapable de rester insensible à la
disgrâce d’un ami, or la faute dont on l’accusait, la haute trahison, était des
plus graves. Aussi lorsque le Sénat décida de traduire Albinus devant sa
juridiction d’exception, Boèce monta en première ligne pour le défendre face à
ses juges et conclut sa plaidoirie par ces mots :
    — Si Albinus est coupable, alors je le suis aussi.
     
    *
     
    — J’ai étudié la rhétorique dans ma jeunesse,
confiai-je à Livia, secouant douloureusement la tête. Cette formule employée
par Boèce sortait tout droit des textes classiques et un étudiant lettré eût
haussé les épaules quant à sa signification. Il s’agissait d’un argument dialectique,
d’un éclat d’éloquence à ne pas prendre au pied de la lettre. Mais la cour du
Sénat…
    — Il s’agissait d’hommes raisonnables, à n’en pas
douter.
    C’était dans sa bouche une question plus qu’une certitude.
    Je soupirai lourdement.
    — On pourra discourir des faits, comme du récit qu’on
en a donné. Je n’ai pas assisté à la séance, et des écrits, honnêtes ou pas,
attestent de ce qui s’y est dit…
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