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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita
Autoren: Mireille Calmel
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au pied des marches qui menaient à cette tour austère. Fragile mais déterminée dans son mantel de peau retournée, les traits rougis par le froid.
    Elle ne bougea pas à leur approche. Pas davantage lorsqu’ils mirent pied à terre sur des pavés disjoints, brisés. À peine un regard navré glissa-t-il sur son fils qui avançait vers elle, à pied, sans armes et le visage sombre.
    — Suivez-moi et refermez la porte, dit-elle en tournant les talons pour remonter les marches de pierre, éclatées par la neige l’hiver, et envahies, là, par une herbe folle.
    L’endroit, trop venté, excluant tout discours, Khalil attendit qu’ils fussent à l’intérieur, dans un vestibule aux fenêtres barrées de volets épais et éclairé de torches pour demander :
    — Pourquoi, maman ?
    Mounia s’immobilisa au pied d’un autre escalier qui remontait vers les étages. Elle fit volte-face, ravagée d’émotion.
    — Je me suis souvenue d’elle, cette nuit. De ce moment où elle est venue à mon chevet à Istanbul, avant que tu ne me retrouves. De sa voix surtout. Tu te souviens, je t’ai expliqué cette phrase dans ma tête, dix années durant, comme une amarre à la vie.
    —  Ouïmaona inemaïch oï… , murmura Elora.
    — Oui, celle-ci. Ce n’était pas la voix des Anciens, Khalil. C’était la sienne.
    Il blêmit. Mounia enveloppa son menton de sa paume, ébaucha une caresse.
    — Sans elle, je serais morte de chagrin dans ma geôle, et cette nuit-là aussi si elle ne m’avait insufflé assez de force pour tenir jusqu’à votre arrivée.
    Elora se troubla.
    — C’est pour cette raison que mon pouvoir s’est trouvé arrêté lorsque j’ai voulu te guérir. Sa malignité était en toi et formait barrière que seul l’amour de Khalil a pu percer.
    Mounia hocha la tête.
    — Elle savait que tu y parviendrais. Elle le savait. Avant de partir, elle m’a dit ceci pour toi : « Il faut tromper le mal, parfois… »
    Constantin se tourna vers Elora.
    — Tu sais ce que cela signifie ?
    — Oui, je suis née pour cela, répondit Elora, un sourire confiant aux lèvres.
    — Alors on y va, décida Khalil.
    — On y va, l’approuva Constantin.
    — Une dernière chose. Quoi que je dise ou fasse, gardez foi en moi, comme là-bas, à Istanbul, Khalil.
    Il se souvint du poignard dans son ventre.
    — Toi aussi Mounia, ajouta Elora.
    L’Égyptienne l’approuva d’un signe de tête, puis releva le bas de sa jupe d’une main décidée. S’appuyant à la rambarde de l’autre, elle monta l’escalier, lentement.
    Cent vingt-six marches, compta Mounia.
    Cent vingt-six battements de cœur, nota Khalil.
    Cent vingt-six jours depuis la libération de Mounia, s’aperçut Constantin.
    Cent vingt-six mois à refouler la part d’ombre en moi, admit Elora.
    Les deux battants d’une porte vétuste s’écartèrent pour leur révéler Marthe au centre d’une pièce dépouillée de tout apparat.
    Khalil ne put retenir un frisson en la reconnaissant. Elle était en tous points semblable à son cauchemar. La peau collée aux os du visage, les yeux sournois engoncés dans leurs orbites noires, les lèvres fines et sombres, la tresse pailleuse sur une robe couleur de cendres, une silhouette efflanquée, noueuse, et des mains… Des mains terminées par des ongles recourbés telles des serres de rapace qui reposaient, croisées sur une poitrine informe.
    Il s’approcha, pourtant, dans le pas des trois autres, s’agaça de voir sa mère se placer aux côtés de Marthe et cette dernière le regarder froidement.
    Merci, Khalil, de m’avoir ramené Elora, répéta-t-il dans sa tête, en même temps que la créature le prononça.
    Il ne s’y attarda pas, pressé de passer à la suite. Celle de la lumière bleue de ses derniers rêves, pas cette fin détestable où Elora s’avançait…
    Il tressaillit de la voir faire un pas.
    … tombait à genoux…
    Non, non Elora !, hurla-t-il sans voix en la voyant faire, puis prononcer d’une voix cassante, telle qu’en ses songes effroyables :
    — Enferme-les, Mounia. À double tour.
    Il serra les poings sur sa détresse. Pas cette version-là. Non. Il ne voulait pas de cette version-là…
    Indifférente à sa colère, Elora en rajouta en tournant la tête par-dessus son épaule :
    — Ne m’obligez pas à user de mes pouvoirs contre vous. Suivez-la, ordonna-t-elle dans un halo aussi noir qu’il avait été bleu, autrefois.
    Mounia elle-même avait blêmi.
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