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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita
Autoren: Mireille Calmel
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Pourtant, se détachant de Marthe, elle les prit par le bras et les entraîna vers la porte.
    Il fallut à Khalil le temps qu’elle se referme sans aide extérieure pour s’arracher à son désarroi et à la poigne de sa mère sur son coude.
    — Non. Je refuse. Je refuse de la laisser comme ça ! grinça-t-il en faisant volte-face, prêt déjà à y retourner, à… à… peu importait quoi !
    — Elle sait ce qu’elle fait, Khalil.
    Il se dressa contre sa mère, les poings serrés.
    — Comme toi, peut-être ?
    Constantin s’interposa. Calme.
    — Souviens-toi, Khalil. Il faut tromper le mal, parfois. Allons nous mettre à couvert, ainsi que le veut Elora.
    Il vacilla. Mounia hocha la tête. C’est alors que lui revint cette séquence intermédiaire. La même révolte. Les mêmes mots. Regagné d’espoir, il prit l’escalier.
    — Vous avez raison. Il ne faut surtout pas rester là.
    D’un même élan, ils dévalèrent les marches.
    Cent vingt-six pour se protéger du combat.
    *
    Elora accepta la main de Marthe pour se relever. Elles se jaugèrent du regard, en silence, puis Marthe se détacha d’elle pour se rapprocher d’un coffre. Elle l’ouvrit. Elora la vit de dos s’activer à une tâche invisible et s’en revenir vers elle avec un hanap de béryl.
    Elle le lui tendit, faisant danser dans la coupe un liquide violacé. Elora en reconnut l’odeur, particulière, familière.
    — L’élixir du mal…
    — Bois, exigea Marthe.
    Elora n’hésita pas. Elle le vida d’un trait, ses yeux avalés par la noirceur dans ceux de la Harpie satisfaite. Elle lui rendit la coupe, mais, au lieu de la prendre, Marthe desserra ses doigts. Le bloc de béryl, taillé en entonnoir, éclata sur les carreaux de sol en dizaines de gemmes.
    Ensuite, elle se détourna d’Elora pour aller s’asseoir sur ce qui avait été, autrefois, le trône de Morgane. Dans l’attente que la potion fasse son œuvre, tue en Elora toute trace de bonté et la rende capable du pire.
    Le liquide migra, amenant un rictus de douleur sur le visage de la jouvencelle. Lorsqu’il ravagea son ventre, elle tomba à genoux dans un gémissement, puis sur le côté, recroquevillée. Marthe la regarda se tordre courageusement, de longues minutes durant, dégoulinant de sueur, dans la gangue d’une lumière de plus en plus sombre. Lorsque les éclats de béryl épandus autour d’elle eurent perdu leur éclat bleuté, la douleur s’apaisa.
    Elora se redressa, lentement, jusqu’à lui faire face, puis se déshabilla.
    — Je suis prête, dit-elle. Viens.
    Marthe pianota des ongles sur les accoudoirs éventrés du faudesteuil avant de se lever, satisfaite.
    Lorsque, rendu lui aussi à sa nudité, le corps décharné de la Harpie s’avança vers elle, sans hésiter Elora lui ouvrit ses bras pour qu’elle se repaisse d’elle et de sa vitalité.

75
     
    Sur le navire, la situation était critique. Depuis la cabine où ils s’étaient réfugiés, le baron, Celma et Présine avaient beau piquer de flèches la Harpie qui avait eu raison de Mélior, elle continuait de griffer sauvagement les planches qui barraient l’accès à la cale et aux enfants.
    De temps en temps, agacée, elle arrachait les pointes de son plumage ou de son crâne, sans qu’une seule goutte de sang ou de liquide jaillisse de la plaie, aussitôt refermée.
    — N’en viendra-t-on jamais à bout ? gronda le baron, dont les réserves de flèches s’épuisaient.
    Présine sentit son cœur se serrer depuis la cabine où ils s’étaient réfugiés pour la harceler.
    — Il n’y a qu’un seul moment où elle est vulnérable. Lorsqu’elle tient une fillette contre elle. Ou une vierge.
    — Autant dire jamais, rumina le baron en décochant une nouvelle flèche.
    Depuis l’autre navire, les traits pleuvaient de même. Briseur avait bien essayé de s’interposer face à la créature, son gourdin dans une main et son épée dans l’autre. Il n’avait pas fait trois pas qu’il était fauché par le travers avec une force si puissante qu’il s’était retrouvé projeté par-dessus le bastingage, le ventre cisaillé d’un coup de griffe. Celma avait vu l’eau se teinter de sang par la fenêtre de la cabine puis le colosse nager vers l’autre navire où deux des mercenaires d’Enguerrand l’avaient repêché. Mathieu n’avait pas pu profiter de la diversion. Il s’était élancé tout de même pour taillader la Harpie de son braquemart et s’était vu
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