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Sur la scène comme au ciel

Sur la scène comme au ciel

Titel: Sur la scène comme au ciel
Autoren: Jean Rouaud
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pour
mettre en doute la bonne foi de l’éditeur et, comme il n’a pas vocation a
attirer le tourisme, on peut le croire quand il donne une vision moins
attrayante de l’endroit, même s’il a vraisemblablement intérêt à ne pas donner
de son travail une vision trop idyllique qui dévaluerait le prix de son
éloignement. Sans doute a-t-il pris la carte sur un tourniquet posé sur le
comptoir d’un bar-tabac où il allait acheter sa ration journalière de deux
paquets de cigarettes, des Gauloises à cette époque, car il semble que son goût
pour les Gitanes soit plus tardif, peut-être même ne les trouvait-on pas
encore. Il est étrange qu’il n’ait pas choisi une vue de Rodez et de son
imposante cathédrale de grès rouge où il entendit la messe, mais peut-être un
autre correspondant en a-t-il bénéficié. La carte n’est pas datée, cependant
nous savons, par le certificat qu’il reçut de son employeur au moment de son
départ, qu’il travailla pour le compte de la Maison des Instituteurs en qualité
de représentant – car en fait de tableaux il ne s’agit naturellement
pas d’œuvres d’art, mais de ces gravures pédagogiques à thèmes qui ornaient
autrefois les murs des salles de classe – du 1 er octobre
1955 au 17 février 1958, date à laquelle, lassé de ces très très longues
tournées –  et l’on comprend qu’après cette adolescence passée
derrière le comptoir du magasin de ses parents, puis cette jeunesse cloîtrée
dans la clandestinité, connaissant son trop-plein d’énergie, il ait aspiré à
bouger, à voir du pays –, il choisit un employeur plus proche et un
circuit moins contraignant, savoir Quimper et la Bretagne, comme si son
territoire d’arpenteur était sa peau de chagrin, de sorte qu’on peut voir un
funeste présage dans son désir de revenir au pays pour prendre la direction de
l’hôpital à trois cents mètres de chez nous.
    Il y a donc une dizaine d’années à ce moment que nos beaux
parents font route commune, de ce pas alerte et décidé qui leur faisait
traverser une rue de Saint-Laurent-sur-Sèvre pleins de confiance dans la vie.
En réalité, dix ans de course-poursuite avec les emprunts (où l’on retrouve
l’ombre de l’abbé prêteur dont on devine que, comme chaque année – la
carte est écrite en janvier –, il n’a pas manqué de rappeler son débiteur
à son bon souvenir au moment de la cérémonie des vœux), dix ans de chagrin (la
mort du premier enfant) et de labeur, dix ans mais qui n’empêchent pas l’époux
itinérant, et pour nous c’est ce qui importe, de serrer son toujours petit loup
chéri bien fort dans ses bras.
    Le 21 mai 56, nous le retrouvons à Bruxelles (vue en noir et
blanc de la Grand’Place), et toujours les mêmes leitmotive : l’adresse
tendre à son petit loup chéri, l’espoir de vendre des tableaux en Belgique,
mais si ça ne marche pas j’ai dit que je rentrais , le couplet sur la vie
chère (un simple demi de bière coûte 80 F), son impression générale sur
le pays qui n’est pas très drôle ici avec le parler, mais il paraît que plus
bas le français est meilleur, et quelques mots pour remonter le petit moral
de celle qui se lasse sans doute d’attendre seule avec ses trois enfants en bas
âge, –  Peut-être la compagnie de Jean et Clairo t’a-t-elle passé
le cafard ? Puis c’est San Sébastian (une carte en noir et blanc de la
calle San Ignacio de Loyola y Catedral, avec, au milieu de la rue, deux
tractions avant Citroën et une charrette à bras), où il n’a pas encore acheté
de chaussures, ce qui semble, plus que la vente des tableaux, le but de son
franchissement de la frontière (nous marchandons car c’est un vrai pays de
croquants), mais si un jour nous allons à Lourdes, j’envisage de passer
ici où la vie est moins chère, et, après avoir envoyé de gros baisers à ses
enfants, les derniers mots sont pour son petit loup chéri : Je
t’embrasse comme je t’aime.
    Invariablement, nous l’avons entendu maintes fois, ce
commentaire qui accompagnait son éloge : c’était un homme de parole. La
preuve en est, c’est que nous l’avons fait, ce voyage à Lourdes, à cinq dans la
203 fourgonnette, spécialement aménagée à l’arrière pour accueillir ses
tableaux, et pour laquelle, à notre intention, il avait fabriqué une banquette
escamotable recouverte d’une panne de velours rouge où nous nous serrions tous
les trois. Peut-être le passage de
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