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Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres
Autoren: Alphonse Daudet
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de Houat
est à cette heure tout à fait perdue pour nous. Le clocher, le
fort, le moulin, tout a disparu dans les plis d'un terrain houleux
et tourmenté comme le flot qui l'entoure. Nous nous dirigeons
cependant vers le village par un sentier tortueux, garanti entre
ces traîtres petits murs bretons, construits en pierre plate,
pleins d'embranchements et de détours.
    Chemin faisant, nous remarquons la flore de
l'île, étonnante sur ce rocher battu des vents : les
lys
de Houat
, doubles et odorants comme les nôtres, de larges
mauves, des rosiers rampants et l'œillet maritime dont le parfum
léger et fin forme une harmonie de nature avec le chant grêle des
alouettes grises dont l'île est remplie. Des champs de blé frais
coupé et de pommes de terre s'étendent autour de nous, mais dans
toutes les terres en jachère, la lande, la triste lande, solide,
armée, court, escalade, s'attache, fleurie de jaune parmi ses
épines. À notre approche, les troupeaux se détournent ; les
vaches habituées à la coiffe plate et au chapeau du Morbihan, nous
suivent longtemps de leurs gros regards immobiles. Partout nous
rencontrons le bétail groupé, dispersé, libre d'entraves et de
toute surveillance.
    Enfin, dans un pli du sol, abrité des ouragans
et des embruns de mer, le village se découvre avec ses toits bas et
pauvres serrés l'un contre l'autre, comme pour faire tête au vent
et séparés non pas par des ruelles, dont la ligne droite livrerait
passage à la tempête, mais par des carrefours, des petites places
capricieusement ménagées qui, dans le mois où nous sommes, servent
d'aire pour le battage de la moisson.
    Des chevaux à demi sauvages, dont la race
rappelle un peu celle des Camarguais, unis par deux ou par trois,
tournent étroitement dans ces cirques inégaux, foulant le grain qui
fait voltiger sa poussière au soleil. Une femme les dirige, une
poignée de paille à la main ; d'autres, armées de fourches,
repoussent le blé tout autour de l'aire. Rien de frappant dans le
costume : de pauvres vêtements sans dessins et décolorés, des
fichus jaunis abritant des figures terreuses et hâlées ; mais
la scène elle-même est d'un pittoresque primitif. Il monte de là
des hennissements, des froissements de paille, des voix claires où
sonnent les dures syllabes gutturales du parler breton.
    Tel qu'il est, ce pauvre village morbihannais
vous fait penser à quelque
douar
africain ; c'est le
même air étouffé, vicié par le fumier qu'on entasse sur les seuils,
la même familiarité entre les bêtes et les gens, le même isolement
d'un petit groupe d'êtres au milieu d'une immense étendue ; de
plus, les portes sont basses, les fenêtres étroites, nulles même
sur les murs regardant la mer. On sent bien la misère en lutte
contre les éléments ennemis.
    Les femmes moissonnent avec fatigue,
s'occupent des bestiaux ; les hommes pêchent dans le danger.
En ce moment tous sont à la mer, à part un vieux, grelottant de
fièvre, que nous voyons assis devant sa roue de cordier, puis le
meunier étranger à l'île et que la commune paye au mois, et enfin
M. le curé, le plus haut personnage de l'île de Houat et sa
véritable originalité. Ici le prêtre réunit tous les pouvoirs,
absolument comme un capitaine à son bord. À son autorité
sacerdotale il ajoute celle de ses fonctions administratives. Il
est maire-adjoint dans le village, syndic des gens de mer ; il
a aussi la surveillance des ouvrages militaires, forts ou fortins,
construits dans l'île, et qui, en temps de paix, sont dépourvus de
gardien. Qu'une contestation s'élève entre marins, à propos d'un
casier de homards, d'une distribution de part de pêche, voici
M. le curé passé juge de paix. Qu'on fasse un peu trop de
tapage à l'auberge le dimanche soir, vite il roule une écharpe sur
sa soutane, et remplit à l'occasion les fonctions de garde
champêtre.
    Il n'y a pas longtemps même, il descendait à
des emplois encore plus infimes. Il avait le monopole des boissons
et les faisait distribuer par une sœur à travers un guichet. Il
avait aussi la clef du four banal où chacun vient cuire son pain.
C'étaient là des précautions d'exil, la réglementation des vivres
de mer introduite sur cette île livrée au hasard des flots comme un
navire.
    Depuis trois ou quatre ans, les antiques
usages se sont un peu modifiés ; mais le principe en est
toujours vivant, et le curé actuel de l'île, un homme intelligent
et vigoureux, nous
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