Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres
Autoren: Alphonse Daudet
Vom Netzwerk:
sceaux de l'Empire libéral, d'un ministre
encore empêtré dans ses illusions d'orateur, d'un ministre qui
porte le titre de ministre sans en posséder l'esprit, d'un ministre
enfin qui habite rue Saint-Guillaume !
    Le lendemain, il est vrai, Pierre Bonaparte
était prisonnier, mais prisonnier comme l'est un prince, au premier
étage de la Tour d'Argent, avec vue sur la place du Châtelet et la
Seine, et les Parisiens en passant les ponts se montraient son
cachot pour rire et les rideaux blancs de ses fenêtres à peine
grillées. Quelques semaines après, le prince Pierre était
solennellement acquitté par la haute Cour de Bourges. De bagne,
Émile Ollivier n'en parlait plus ; il quittait décidément la
rue Saint-Guillaume pour la place Vendôme. Désormais, dans les
grands escaliers, les vastes corridors, huissiers et garçons de
bureau souriaient cérémonieusement à son passage, il était devenu
parfait ministre et l'Empire libéral avait vécu !
    En résumé, un homme d'État médiocre, plein de
fougue et sans réflexion, mais un honnête homme, un poète idéaliste
fourvoyé dans les affaires, ainsi peut se définir Émile Ollivier.
Morny d'abord, puis d'autres après Morny, en jouèrent. Républicain,
il essaya de consolider la dynastie, en passant dessus un crépi de
liberté ; plus tard, il voulait la paix, déclara la guerre, et
non pas cœur léger, comme il le dit par inspiration malheureuse,
mais esprit irrémédiablement léger, il nous entraîna avec lui dans
l'abîme d'où nous sommes sortis, où il est resté !
    L'autre soir, on finit toujours par se
rencontrer dans Paris, nous dînions en face l'un de l'autre à une
table amie : le même qu'autrefois, même regard de rêveur
interrogeant et indécis derrière le cristal des lunettes, même
physionomie de parleur, où tout est dans le pli des lèvres, le
dessin de la bouche plein d'audace et sans volonté. Fier et droit
d'ailleurs, mais tout blanc. Blanc par ses cheveux drus, blanc par
ses favoris courts, blanc comme un camp abandonné dans une
désastreuse campagne, sous la neige. Avec cela, la voix cassante,
nerveuse, des gens qui en ont sur le cœur plus gros qu'ils n'en
veulent laisser voir…
    Et je me rappelais le jeune tribun, noir comme
un corbeau, entr'aperçu dans le salon du père Ortolan.

Gambetta
    Un jour, il y a des années et des années, à ma
table d'hôte de l'Hôtel du Sénat, que je vous ai déjà montrée –
toute petite au fond d'une étroite cour au pavé froid et balayé, où
des lauriers-roses et des fusains s'étiolaient dans leurs
classiques caisses vertes – devant un somptueux festin à deux
francs par tête, Gambetta et Rochefort se rencontrèrent. J'avais
amené Rochefort. Il m'arrivait ainsi quelquefois d'inviter un ami
de lettres au lendemain d'un article au
Figaro
, quand
souriait la fortune ; cela variait et ravigotait notre table
un peu provinciale. Malheureusement Gambetta et Rochefort n'étaient
pas faits pour s'entendre, et je crois bien que ce soir-là ils ne
se parlèrent point. Je les vois, chacun à un bout, séparés par
toute la longueur de la nappe et tels déjà qu'ils
demeureront : l'un serré, tout en dedans, le rire sec et en
long, le geste rare, l'autre qui rit en large, crie, gesticule,
débordant et fumeux comme une cuve de vin de Cahors. Et que de
choses, que d'événements tenaient, sans qu'on s'en doutât dans
l'écart de ces deux convives, au milieu des pots à goudron et des
ronds de serviettes d'un maigre dîner d'étudiants !
    Le Gambetta d'alors jetait sa gourme et
assourdissait de sa tonitruante faconde les cafés du quartier
Latin. Mais ne vous y trompez point, les cafés du quartier, à cette
époque, n'étaient pas seulement l'estaminet où l'on boit et où l'on
fume. Au milieu de Paris musclé, sans vie publique et sans
journaux, ces réunions de la jeunesse studieuse et généreuse,
véritables écoles d'opposition ou plutôt de résistance légale,
demeuraient les seuls endroits où pouvait encore se faire entendre
une voix libre. Chacun d'eux avait son orateur attitré, une table
qui, à de certains moments, devenait presque une tribune, et chaque
orateur, dans le quartier, ses admirateurs et ses partisans.
    « Au Voltaire, il y a Larmina qui est
fort… Bigre ! Qu’il est fort, le Larmina du
Voltaire !…
    – Je ne dis pas, mais au Procope, Pesquidoux
est encore plus fort que lui. »
    Et l'on allait par bande, en pèlerinage, au
Voltaire entendre Larmina, puis
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher