Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres
Autoren: Alphonse Daudet
Vom Netzwerk:
le
Louvre, au bras de Théophile Silvestre avaient fait à Gambetta
auprès de certains hommes État en herbe, dès l'enfance sanglés et
cravatés, une sorte de réputation de paresse. Ce sont ceux-là
encore, mais grandis, qui toujours pleins d'eux-mêmes et toujours
hermétiquement bouchés, le traitent en petit comité d'homme frivole
et de politique pas sérieux, parce qu'il se plaît à la compagnie
d'un garçon d'esprit qui est comédien. Cela prouverait tout au plus
qu'alors comme aujourd'hui Gambetta se connaissait en hommes et
savait le grand secret pour se servir d'eux, qui est de s'en faire
aimer. Un trait de caractère qui achèvera de peindre le Gambetta
d'alors : cette voix de porte-voix, ce parleur terrible, ce
grand gasconnant n'était pas gascon. Est-ce influence de la
race ? Mais par plus d'un côté cet enragé fils de Cahors se
rapprochait de la frontière et de la prudence italiennes ; le
mélange du sang génois en faisait presque un avisé Provençal.
Parlant souvent, parlant toujours, il ne se laissait pas emporter
dans le tourbillon de sa parole ; très enthousiaste, il savait
d'avance le point précis où son enthousiasme devait s'arrêter, et
pour tout exprimer d'un mot, c'est à peu près le seul grand
parleur, à ma connaissance, qui ne fût pas en même temps un
détestable prometteur.
    Un matin, comme cela finit toujours par
arriver, cette bruyante couvée de jeunesse qui nichait Hôtel du
Sénat, prit son vol, ayant senti pousser ses ailes. L'un tira au
nord, l'autre au sud ; on se dispersa aux quatre coins du
ciel. Gambetta et moi nous nous perdîmes de vue. Je ne l'oubliai
pas cependant, piochant pour mon compte et vivant très à l'écart du
monde politique, je me, demandais quelquefois : « Où est
passé mon ami de Cahors ? » et cela m'eût étonné qu'il ne
fût pas en train de devenir
quelqu'un
. À quelques années
de là, me trouvant au Sénat, non plus à l'hôtel mais au palais du
Sénat, un soir de réception officielle, je m'étais réfugié loin de
la musique et du bruit sur le coin de banquette d'une salle de
billard taillée dans les appartements immenses, hauts de plafond à
y loger six étages, de la reine Marie de Médicis. C'était l'époque
de crise et de velléités d'être aimable, où l'Empire faisait des
mamours aux partis, parlait de concessions mutuelles et, sous
couleur de réformes et d'apaisement, essayait d'attirer à lui, en
même temps que les moins engagés des Républicains, les derniers
survivants de l'ancienne bourgeoisie libérale. Odilon Barrot, je me
rappelle, le vénérable Odilon Barrot jouait au billard. Toute une
galerie de vieillards ou d'hommes prématurément graves l'entourait,
moins attentive, certes, à ses carambolages qu'à sa personne. On
attendait qu'une phrase, un mot tombât de ces lèvres jadis
éloquentes, pour recueillir le mot ou la phrase et l'enfermer dans
le cristal, pieusement, dévotement, comme fit l'ange pour la larme
d'Éloa. Mais Odilon Barrot s'obstinait à ne rien dire, il mettait
du blanc, poussait l'ivoire, tout cela noblement et d'un beau geste
où tout un passé de solennité bourgeoise et de parlementarisme haut
cravaté semblait revivre. On ne parlait guère davantage autour de
lui : ces pères conscrits d'autrefois, ces Épiménides endormis
depuis Louis-Philippe et 1848 ne s'entretenaient qu'à voix très
basse, comme pas bien sûrs d'être réveillés. On surprenait ces mots
au vol : « Grand scandale… Procès Baudin… Scandale…
Baudin. » Ne lisant guère de journaux et sorti très tard dans
la journée, j'ignorais, moi, ce qu'était ce fameux procès. Tout à
coup, j'entendis le nom de Gambetta : – « Qu'est-ce que
c'est donc que ce M. Gambetta ? » disait un des
vieillards avec une impertinence voulue ou naïve. Tous les
souvenirs de ma vie au quartier me revinrent. J'étais bien
tranquille dans mon coin, indépendant comme un brave homme de
lettres gagnant sa vie et trop dégagé de toute attache et de toute
ambition politique pour qu'un tel aréopage, si vénérable fût-il,
m'en imposât. Je me levai : « Ce M. Gambetta ?
Mais c'est à coup sûr un homme fort remarquable… Je l'ai connu,
tout jeune homme, et chacun de nous lui prédisait l'avenir le plus
magnifique. » Si vous aviez vu la stupéfaction générale à
cette sortie, les carambolages arrêtés, les queues de billard
suspendues, tout ce monde irrité et les billes elles-mêmes sous la
lampe qui me
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher