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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion
Autoren: Louis Calaferte
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ans. Je me revois fort bien, assis dans un autobus, faisant ma première incursion littéraire avec un livre de nouvelles d’un auteur strictement inconnu dont je n’ai jamais su le nom. C’était un livre à bon marché qu’on avait dû me prêter ou que j’avais dû trouver chez le quincaillier de mon quartier qui, si inhabituel que cela paraisse, installait sur le trottoir devant sa vitrine, à côté des cuvettes émaillées, des brocs, des beurriers en terre rouge et des pots à confiture, des casiers de livres d’occasion qui passaient de main en main d’un bout à l’autre de l’année par tous les habitants du quartier avant de revenir à la quincaillerie, un peu plus défraîchis si possible, tachés de vin, de graisse, de café, de traces de doigts, les pages arrachées, décousues, et pour la plupart agrémentés en marge de dessins obscènes. Il y avait surtout des romans policiers et un grand nombre d’ouvrages illustrés sur les positions recommandées pour favoriser et perfectionner l’art du coït. On y trouvait par hasard quelques bons et authentiques romans ou essais dont il eût été curieux de suivre les pérégrinations qui les avaient conduits jusque-là. Pendant un an ou deux, j’ai bien dû m’arrêter presque chaque matin devant ces casiers et y choisir des livres.
    Coïncidence singulière qui ne vaut sans doute pas qu’on épilogue, mais littérature et solitude sont les deux mots qui m’ont le plus intrigué lorsque je les ai entendus pour la première fois.
    Il y eut une époque où, dans les livres, le sens d’une bonne partie des mots m’échappait. Grâce au seul moyen de la lecture, je me suis lentement familiarisé avec un vocabulaire élargi que je n’avais jamais employé ni entendu employer autour de moi. Cette façon ardue d’appréhender la langue m’a laissé un immense amour des mots. Amour presque physique de l’image. Riche. Pleine. Charnelle. Le mot est avant tout un cri. C’est par un cri que nous nous manifestons au monde. Expression ! C’est-à-dire besoin incontrôlable de faire entendre sa voix. Les mots sont faits pour scintiller de tout leur éclat. Il n’y a pas de limite concevable à leur agencement parce qu’il n’y a pas de limite à la couleur, à la lumière. Il n’y a pas de mesure à la mesure des mots. Il ne viendrait à personne l’idée de mettre un frein à la clarté nue de midi en été. Les mots. Silex et diamant. Votre rôle est de fouiller là-dedans à pleines mains au petit bonheur. Pourvu que ça rende le son qui est en vous au moment où vous écrivez. Vous rencontrerez toujours un de ces singes maniaques pour vous expliquer gravement que ce que vous prenez ordinairement pour des lustres de Venise ne sont que de vulgaires chandelles usagées. Devant ces démonstrations savantes empreintes de mesure , pétez-lui au nez d’un air jovial et bon enfant – qu’il comprenne que la leçon a porté !
    En lisant, je m’enfouissais sous le texte, comme une taupe. J’ai aimé les écrivains. Tous les écrivains. D’un amour de béatitude. Respect. Admiration. Envie. Imagination. Et superstition aussi. Tout cela composait cette espèce de tendresse bizarre que je leur accordais spontanément.
    J’essayais de rassembler le plus d’indices possible sur la vie de chacun. Merveilleuse, attendrissante époque pour moi sur ce plan où la foi absolue transposait tout et me tenait lieu d’intelligence et de sens critique. Je m’en souviens comme d’un âge d’éther où il faisait bon s’endormir en plein air sous les étoiles et se laisser conduire par la main vers cet ensorcellement imaginaire que je recréais à volonté. Je passais le plus clair de mon temps dans l’intimité des écrivains sans en connaître un seul. Fanatique et amoureux. Idolâtre. Subissant comme les autres toute la journée les engueulades des chefs d’ateliers ou du chef du personnel, supportant l’atmosphère du travail en usine auquel je n’ai jamais pu m’acclimater, meurtri dans mon amour-propre, ne pouvant répliquer sous peine d’être mal noté, tenu à l’œil et chargé des boulots les plus emmerdants de la boîte, il me suffisait pourtant de me souvenir tout à coup d’une description d’un bureau d’écrivain que j’avais lue quelque part, et instantanément la colère fondait. Je me mettais à battre des ailes au-dessus du parc zoologique, une caisse de boulons neufs sur les épaules ou la pompe de graissage dans la main
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