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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion
Autoren: Louis Calaferte
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les fesses nues, le sexe vacant entre les cuisses, le ventre libre, dégagé jusqu’au nombril. L’usine et ses contingences, son bruit, sa graisse, son atmosphère de prison déguisée, ses hommes crasseux, pauvres, disparaissaient alors dans un lointain imperceptible, et je rouvrais le livre à la page où je l’avais laissé pendant la précédente séance qui remontait parfois à moins d’une demi-heure. J’entamais ma lecture aussi serein que si je m’étais trouvé dans un coin de la grande bibliothèque seigneuriale au rez-de-chaussée du manoir de famille, les pieds sur les chenets devant le feu de bûches pétillant, le verre de vieil armagnac à portée de la main, un cigare de bonne taille entre les lèvres, confit de chaleur et de bien-être dans le fauteuil de cuir brun patiné par l’âge. Même sans livre, et pour peu qu’il y eût un siège à couvercle, chose rare dans les cabinets réservés aux ouvriers, je tirais ma révérence, rigolant tout seul en pensant que j’étais bel et bien en train de m’accroupir au-dessus de la Sacro-Sainte Société organisée, celle qui a lu Platon, Darwin et les Droits de l’Homme ; le globe terrestre exactement situé en la circonstance dans l’embouchure étroite du trou embrenné par tout le résidu fécal humain des cent années écoulées, la construction de l’édifice datant à peu près de cette époque.
    Idée en apparence saugrenue mais pleine d’humour, si l’on se met à l’approfondir, et qui effleure par le biais la métaphysique débonnaire. Pères et grands-pères avec leurs moustaches cirées, leurs melons noirs, leurs supports-chaussettes et leurs faux cols à ressort avaient donc fait halte en ces lieux avant d’aller échouer dans la tombe sous les fleurs du dimanche. Étonnantes variétés de diarrhées, suites de selles compactes ou sinueuses, douloureuses, plaisantes, angoissées, sans que le cœur y soit, évacuées à la sauvette, les soucis journaliers nouant le boyau en plein travail ; ou lâchées sans précipitation, selon les règles de la nature, avec le temps de souffler ou même de griller une cigarette. Quoi qu’il en soit, enjouée ou morose, toute cette matière chaude et fumante avait dégouliné par le trou noir sur la calvitie du monde engorgé qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait et ne pouvait néanmoins se soustraire à la position incommode où il était allé se fourrer par mégarde. Et le monde, jugeant à cela qu’il n’est point encore tout à fait divin, se voit acculé à l’obligation urgente d’assumer cette responsabilité supplémentaire des fonctions organiques de ses habitants les plus distingués, dotés chacun, par erreur sans doute, non seulement d’une âme à préserver des impuretés, mais au surplus d’un système digestif, d’un gros intestin capricieux et d’un trou du cul parfaitement réglementaire, sans insister sur la capsule surrénale qui est ici hors de propos.
    Songer aux lignées de générations qui ont plus ou moins séjourné dans ces édicules où vous-même allez aujourd’hui renouveler les mêmes gestes pour la même raison bien simple que nous sommes invariablement conçus d’après un moule identique, est un moyen comme un autre d’aperception de la fameuse communion cosmique. N’est-il pas vrai ? Que ne donnerait-on pas de nos jours pour avoir dans l’album une image de Shakespeare le Grand ruminant quelques-unes de ses plus percutantes répliques tout en posant culotte au grand air dans un cadre élisabéthain, comme cela a probablement dû lui arriver à lui aussi. Lancé dans cette direction, rien ne vous empêche plus ensuite de faire, clopin-clopant, le tour des célébrités passées ou présentes, Jésus ou Krishna y compris, que vous aimeriez surprendre pour votre édification dans le plus parfait naturel ; nulle d’entre elles, Jésus ou Krishna y compris, n’ayant jamais été dispensée de cette nécessité impérieuse, indice d’une santé florissante à défaut d’autre chose. Panorama d’un genre particulier, mais qui peut également s’étendre avec profit à vos amis et connaissances, aux membres de votre famille ou de votre entourage professionnel ou encore à la femme que vous aimez présentement et qui est bien obligée, la pauvre, d’en passer par là au moins une fois par jour, fût-elle à vos yeux la grâce personnifiée et la délicatesse même. Pourquoi ne pas envisager les choses dans toute leur réalité ? La
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