Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion
Autoren: Louis Calaferte
Vom Netzwerk:
pharmaceutique datant de l’époque des règles difficiles d’une quelconque femelle occasionnelle, et des bouts de nappes en papier crayonnés de dessins, de chiffres, d’opérations qui n’ont plus pour moi de signification. Signification. Quelle signification peut donc bien avoir l’arriéré d’une existence d’homme ? Tout est en place pour l’éternité. Avec les trous de mites, les chaussettes sales, le corps des femmes. Et leurs âmes. Toujours si intuitives. Si fragiles. Vous sont passées par les mains et en sont ressorties chiffonnées, gravées d’une ride supplémentaire dont vous êtes directement responsable. Tout le passif et le complémentaire. Gueules de bois. Indigestions. Oreillons et papier-chiottes. Le passé commence tous les jours. C’est là le fin mot de l’histoire. Paperasse et vie morte, voilà ce que tout cela signifie.
    Je retrouve aussi des liasses de feuillets couverts de mon écriture rabougrie à l’encre verte. L’une des cinq ou six moutures différentes et inachevées de ce fameux livre que je me proposais d’écrire sans retard chaque matin que Dieu fait. Mais combien j’étais loin de deviner le sens de la démarche qui serait la mienne ! Croyant m’engager sur la voie de mon accomplissement, j’allais, en écrivant, m’apercevoir qu’il n’en était rien. Chaque fois, c’est une marche de plus à descendre vers les ténèbres extérieures. Le point de mire fixé se déplace, recule, s’enfonce dans le noir, se fait imperceptible, et l’écrivain n’est lui-même que le jour où il comprend, désespéré, que tout se limite pour lui à une expérimentation de plus ou moins longue durée. Le temps d’une vie. Mirage. Illusion. Et illusion de l’illusion.
    Le parcours est fertile en tempêtes d’une rare violence, sœur Anne !
    Car lorsque les mots ont fini de couler de soi, c’est qu’ils ont réussi à vous ensevelir vivant. L’homme reste comme englué dans la chrysalide du livre qu’il a écrit. Et sa renaissance à travers le temps est si multiple, si permanente dans des milliers d’esprits, que sa mort à lui est plus certaine, plus immuable, plus définitive que n’importe quelle autre mort. Chaque mot écrit est une tombe ouverte. Remplir des pages et des pages revient à saluer d’un incessant adieu sa propre dépouille sur le bord de la fosse fraîchement creusée. L’entreprise n’a pas de fin. Ne peut avoir de fin. De combien de mutilations l’écrivain n’est-il pas secrètement stigmatisé ? De toute façon, le type qui se décide un jour à brailler plus fort que les autres peut être certain de se foutre le monde à dos. Irrémédiablement. J’ai trois mille cadavres embaumés sur les rayons de ma bibliothèque. Ecco ! Souvenez-vous des colosses morts dans la détresse de l’oubli.
    Créer, c’est dénoncer. Se retirer. Couper les ponts. Être contre. La révolte, le mépris, le cynisme, le scandale, l’hermétisme, la démesure ou le délire marquent la poignée des grands livres que nous admirons. Les lieux que des hommes de cette envergure ont hantés et sillonnés en profondeur leur vie durant deviennent pour longtemps inutilisables. Ils nous forcent à émigrer de nous-mêmes. À aller voir au plus tôt l’état du terrain dans le voisinage. Leur mission salvatrice en ce monde réside dans un travail de sape impitoyable. Voici le cratère que je laisse après moi en héritage. Sous l’amoncellement des décombres se cache, sommeillante, l’étincelle de tout renouvellement. Ouvrez l’œil et, à votre tour, perpétuez la vie !
    Vivre.
    Vivre. Être la vie. Se saisir du monde, comme d’un bien personnel, et en jouir, librement. Se dépouiller, se gonfler, s’épuiser de vie et arriver nu jusqu’à Dieu. Dieu qui n’est peut-être que l’extrémité de soi. Se présenter les mains vides, volontairement pauvre, mais l’âme plongée dans un ravissement de joie.
    Quand oserons-nous lever la tête et voir ? Et qu’arrivera-t-il alors d’imprévisible ? Quelle foudre et quels juges implacables ? Ou ne sera-ce que béatitude ? Le grand mur des lamentos parlera-t-il alors de la longue peine des hommes, saura-t-il entonner, au jour de la révélation, le chant rauque de la souffrance et des tortures, ou ses pierres resteront-elles silencieuses, accablant l’homme de cette détresse de connaître que tout de l’homme est vain ? La Glorification, ou seulement ce néant vaste, plat, pareil aux étendues
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher