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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine
Autoren: Maurice Denuzière
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aussi pu choisir le Leone Bianco, près du Rialto, c’est là qu’a habité, la première semaine de septembre, un fameux peintre anglais, M. Turner. On dit qu’il a peint à l’aquarelle ou dessiné, en cinq jours, tous les palais de Venise ! Mais vous constaterez vous-même que nous autres, Vénitiens, exagérons poétiquement tout ce qui flatte notre cité !
     
    Tandis que la gondole s’éloignait du quai dans un clapot rythmé, Axel observa les gestes des gondoliers. L’un à l’avant, l’autre à l’arrière, ramant sur les bords opposés, faisaient glisser la gondole sans effort apparent. Figés dans une enjambée hiératique, les hommes pesaient sur la longue rame soutenue par une potence de forme élégante, que le Vénitien nomma forcola , la fourche, avec un balancement du buste dont on devinait qu’il leur était aussi naturel que la respiration. Tous deux grands, secs mais robustes, visage de cuir tanné, mains puissantes, coiffés d’un bonnet rouge d’où débordait une toison bouclée et drue, ils portaient une chemise blousante blanche, à col marin et larges manches, serrée à la taille par une ceinture de laine rouge qui soulignait l’étroitesse des hanches, moulées dans un pantalon à pont.
     
    – Ils sont frères jumeaux, dit le Vénitien, qui avait remarqué l’intérêt de son passager pour les gondoliers.
     
    Puis, tendant à Axel un bristol gravé :
     
    » Voici ma carte, monsieur. Si vous avez besoin d’une introduction, ne manquez pas de faire appel à moi. J’appartiens à une vieille famille vénitienne et je serai trop heureux de rendre service à un jeune étranger.
     
    Axel lut : « Gianfranco Brandolini. Avvocato. Palazzo Brandolini. »
     
    Depuis son séjour en Angleterre, Axel Métaz disposait aussi de cartes de visite. Lord Christopher Moore lui en avait offert un cent chez son graveur et le jeune homme fut bien aise de pouvoir, sur-le-champ, rendre sa politesse au Vénitien.
     
    – Ainsi, vous êtes citoyen de la Confédération suisse. Heureux pays à ce qu’on dit ! Vous ne connaissez pas l’humiliation d’être occupés par une armée étrangère et soumis à des lois contraignantes et ruineuses.
     
    Axel Métaz reconnut que les épreuves subies par les cantons suisses, du fait de la Révolution française et des guerres de l’Empire, étaient peu de chose par rapport à ce qu’avaient éprouvé les peuples engagés dans les batailles du commencement du siècle et les villes qui, comme Venise, avaient été annexées, assiégées, occupées, alternativement, depuis 1792, par les Français et les Autrichiens.
     
    Comme la gondole s’engageait dans le canal de la Giudecca, la ville perdit peu à peu sa fluidité et Axel vit se préciser les contours des constructions qui prirent du relief et se révélèrent dans leur diversité. En approchant de la pointe de la Douane, l’avocat cita en les désignant : la piazzetta San Marco, les colonnes de saint Marc et saint Théodore, le campanile, le palais des Doges et, en arrière-plan, les coupoles dorées de la basilique San Marco.
     
    Axel se dit que Venise paraissait une cité encore plus étonnante qu’il ne l’imaginait quand sa défunte grand-tante, Mathilde Rudmeyer, lui montrait des gravures et des aquarelles rapportées d’un voyage dont elle parlait comme d’un séjour dans l’Éden. Sachant maintenant l’étrange, et parfois lancinante, obstination des souvenirs, il comprit soudain, à la vue de ces palais aux façades lézardées, d’où se dégageait, en dépit d’un beau soleil d’automne et du va-et-vient de nombreuses embarcations, un sentiment de lassitude et de mélancolie, que l’émotion de tante Mathilde, quand elle évoquait Venise d’une voix émue, traduisait un bonheur passé, bref, secret et incommunicable au garçonnet qu’il était alors.
     
    Incapable de définir son propre émerveillement, Axel, par la pensée, emprunta encore à Byron : « Dix siècles étendent leurs sombres ailes autour de moi, et une gloire mourante sourit à ces temps éloignés où maintes contrées subjuguées admiraient les monuments de marbre du lion ailé de Venise, qui avait assis son trône au milieu de cent îles. Elle semble une Cybèle des mers sortie tout à l’heure de l’Océan, avec sa tiare d’orgueilleuses tours dans un lointain aérien, majestueuse dans sa démarche comme la souveraine des eaux et de leurs divinités. »
     
    Il se récita ainsi son
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