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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad
Autoren: Maurice Denuzière
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comprise.
     
    Gertrude mit fin à ce dialogue muet en proposant l'abri d'un parapluie offert par Carver.
     
    – Vous me regardez comme si j'étais un fantôme, dit Ottilia, plus troublée qu'amusée.
     
    – L'absence n'est-elle pas une sorte de mort ? répondit Charles.
     
    Conscient qu'ils ne pouvaient prolonger l'entretien sans attirer l'attention, Desteyrac fit signe au cocher d'avancer le rockaway . Tandis que la fille de lord Simon recevait, ès qualités, les souhaits de bienvenue du major Carver, de David Kermor, du pasteur Russell et des époux Weston Clarke, Gertrude s'approcha de Charles.
     
    – Lady Ottilia est heureuse, croyez-moi, de rentrer à Soledad, glissa-t-elle à l'ingénieur avant de trotter vers la voiture où sa maîtresse avait déjà pris place.
     
    – Nous nous verrons ce soir chez mon père, lança Ottilia à l'adresse de l'ingénieur quand l'attelage s'ébranla.
     
    Les passagères roulaient déjà vers le Cornfieldshire quand lord Simon parut sur le pont du Phoenix , solennel, imposant, hiératique, tel un souverain attendu en son royaume. Vêtu comme à l'accoutumée quand il naviguait – habit bleu de nuit à boutons dorés, pantalon blanc, casquette de yachtman à coiffe blanche frappée de l'ancre d'or –, il ne dérogea pas au protocole. Suivant le rite maritime, après avoir passé en revue l'équipage aligné sur le pont, il félicita à haute voix le commandant Lewis Colson d'avoir, malgré le gros temps, conduit le Phoenix à bon port, puis il salua les officiers et gradés, prouvant aux marins qu'il ne craignait pas plus qu'eux l'averse tropicale. Quand le maître d'équipage modula sur son sifflet d'argent les notes dédiées à un amiral quittant le bord, lord Simon, droit comme hallebarde, le menton haut, le pied sûr, avec autant d'aisance que s'il eût marché sous le soleil, descendit à pas comptés l'échelle de coupée. Répondant d'un geste de la main aux salutations que lui adressaient ceux qui, du commandant du port aux débardeurs, avaient bravé l'averse pour le voir débarquer, il sourit, sachant que tous pensaient : « Enfin, le maître est là. »
     
    Carver, qui s'était précipité avec un parapluie pour abriter son ami, fut vivement repoussé.
     
    – Je ne suis pas en sucre, Eddie ! Bien content de te revoir, et vous aussi, Charles.
     
    Comme les deux hommes accompagnaient le lord à sa calèche, celui-ci se tourna vers Desteyrac.
     
    – Comment va mon petit-fils ?
     
    – Comme un bébé d'un mois bien portant, dit Charles, pris au dépourvu.
     
    Avant que la voiture ne démarre, lord Simon, chassant d'un revers de main l'eau de la coiffe de sa casquette, montra qu'il n'avait rien perdu de son autorité.
     
    – Je veux tous vous voir ce soir à Cornfield Manor, vers huit heures. Quel bonheur de retrouver mon île et ma maison ! Nous aurons beaucoup à nous dire, je suppose, ajouta-t-il pour adoucir la brutalité d'une invitation énoncée comme un ordre.
     
    – Quel homme ! Il se croirait déshonoré sous un parapluie, commenta le major quand la voiture s'éloigna.
     
    – J'admire sa force et sa volonté. Il est tel que rien ne peut le changer : fidèle à son personnage avec intransigeance. Malgré sa fierté parfois un peu rebutante, je ne puis m'empêcher de l'admirer et de l'aimer, confessa Charles.
     
    – Vous comprenez donc mes sentiments pour cet ami de si longue date. Voyez-vous, Charles, Simon se barricade dans une armure protectrice et ne fait rien pour attirer les sympathies alors qu'il ne souhaite qu'être aimé d'hommes qu'il estime, de qui il a éprouvé la droiture et la compétence, d'hommes tels que vous, dit Edward, toujours sensible aux jugements que d'autres portaient sur l'autocrate à qui il avait voué sa vie.
     
    L'arrivée du bateau réservait une surprise de taille au major et à l'ingénieur. Michael Hocker, l'écrivain de marine, descendu pour organiser avec le commandant du port le déchargement « de la monstrueuse quantité de caisses enfermées dans les cales du Phoenix  », les informa que l'honorable Malcolm Murray, tenant à présider au déchargement de ce qu'il rapportait d'Europe, s'excusait de ne pas débarquer tout de suite.
     
    – En revanche, quelqu'un que vous n'attendez pas va bientôt vous rejoindre, ajouta l'enseigne.
     
    Satisfait de piquer la curiosité des deux amis, il s'éloigna vers la commanderie du port, ses papiers et registres sous le bras.
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