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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent
Autoren: Benaïm
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Saint Laurent ne portait plus que des polos un peu lâches ; son corps de plus de cent kilos ne le soutenait plus. D’un tissu on aurait dit qu’il boulochait, qu’il s’effilochait, qu’il n’avait plus de tenue. Ce corps christique exhibé à trente-trois ans dans l’objectif de Jeanloup Sieff, ce grand corps malade, plein de fêlures et de douleur, semblait abriter la somme des effets indésirables, inventoriée dans l’édition du dictionnaire Vidal, la bible rouge et or de mes parents. Deux épaules cassées, il ne pouvait
plus serrer la main, ni manger seul. Vertiges, maux de tête. Cancer. Les dames à chien du Champ-de-Mars se souviennent l’avoir vu pour la dernière fois au cours de l’hiver 2007, sur sa chaise roulante, avec Moujik : « Il était comme dilaté. Il n’avait pas l’air bien. Son visage pendait. » Un jour, il s’est arrêté de parler. Avant de fermer les yeux pour toujours.
    Je l’imaginais comme un pape peint par Bacon aux traits révulsés sur son trône roulant, rempli de tous les médicaments du monde, certains disent jusqu’à cent par jour. Bacon, c’était son dernier regret de collectionneur, avec Rothko. Plus Yves Saint Laurent se figeait dans l’absence et plus sa présence gagnait en intensité, enrichie par les silences, les plaies qu’il révélait, au cœur de ce Paris groggy. Une capitale qui n’avait plus la force d’être elle-même, dépourvue du punch des it cities nommées Bombay, Shanghai, ou Dubaï, métropoles des instants futurs, muscles d’acier, silhouettes arc-boutées sur un gigantesque tapis Technogym.

    Les années 2000 ressemblaient à une ardoise magique globale. On mangeait des raisins du
Chili en décembre et le beaujolais nouveau n’était pas arrivé qu’on le buvait déjà à la paille à Capetown ou Singapour. La mode s’était fractionnée en une somme effarante de caprices et d’occupations qu’il avait bien fallu trouver à tous ces gens qui ne faisaient plus l’amour. Yves Saint Laurent avait habillé l’ambiguïté, le double je, héritage du temps où le luxe était d’être de tous les sexes, de toutes les aventures. En 1992, un spot publicitaire pour le Soin Précurseur de Beauté YSL, filmé par Jean-Baptiste Mondino, mettait en scène Catherine Deneuve. Un vrai-faux journaliste lui demandait : « Avez-vous déjà été tentée par le suicide ? » Elle répondait : « Oui, le dimanche après-midi, un peu trop tôt… » Quinze ans plus tard, quel chef de pub aurait laissé un mot si tabou figurer dans un brief  ? Les stars affichaient un sourire éternel, la peau plus lisse qu’un écran tactile. Leur amant, c’était Photoshop. On ne disait plus antirides, mais antiâge, le marché le plus prometteur de la cosmétique. Le luxe désormais, c’était de ne jamais s’écrouler. Les nouveaux managers le prouvaient un peu plus chaque jour.

    Le duo Pierre Bergé-Yves Saint Laurent était d’abord lié à une histoire, la leur. Passionnelle avant tout. Complètement en dehors de tous les principes de la réussite enseignés dans les écoles de commerce. Autant le dire, un cauchemar pour les nouveaux gestionnaires du luxe, débarqués avec leur idéal dans ce triangle d’or où chacun était un serpent pour l’autre. « Les vraies success stories ont été menées par des binômes », reconnaissait une personnalité anonyme, citant en « modèle » Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. « Désormais on recherche des schizophrènes, des gens qui sauraient être à la fois perceptifs, branchés, sensibles, qui auraient quelque chose de très subjectif à proposer et en même temps des gestionnaires carrés, des pros du marketing. Bref, capables de faire le pont entre le cerveau droit et le cerveau gauche de manière très fluide. Physiologiquement, les femmes font ça mieux que les hommes… et bizarrement il n’y a pas que des femmes aux postes de direction… »
    Les nouveaux managers du luxe avaient été chassés par des as du recrutement, ils avaient
des voitures de fonction et des stock-options. Les cabinets comme Heidrick & Struggles, Martens & Heads, Russel Reynolds, Egon Zehnder répondaient aux nouvelles exigences du marché : en dix ans, les objectifs annuels de rentabilité étaient passés de 10 à 18 %. Ayant fait leurs armes chez des géants de la grande distri , toute une armée de super-commerciaux travaillaient la notoriété de la marque sans relâche, ce qui supposait un
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