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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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une pente dangereuse et de confondre, un jour, l’Homme avec le symbole de la moyenne ou de l’ensemble des hommes. Nous risquions de confondre notre cathédrale avec la somme des pierres.
    Et, peu à peu, nous avons perdu l’héritage.
    En place d’affirmer les droits de l’Homme au travers des individus, nous avons commencé de parler des droits de la Collectivité. Nous avons vu s’introduire insensiblement une morale du Collectif qui néglige l’Homme. Cette morale expliquera clairement pourquoi l’individu se doit de se sacrifier à la Communauté. Elle n’expliquera plus, sans artifices de langage, pourquoi une Communauté se doit de se sacrifier pour un seul homme. Pourquoi il est équitable que mille meurent pour délivrer un seul de la prison de l’injustice. Nous nous en souvenons encore, mais nous l’oublions peu à peu. Et cependant c’est dans ce principe, qui nous distingue si clairement de la termitière, que réside, avant tout, notre grandeur.
    Nous avons glissé – faute d’une méthode efficace – de l’Humanité, qui reposait sur l’Homme – vers cette termitière, qui repose sur la somme des individus.
    Qu’avions-nous à opposer aux religions de l’État ou de la Masse ? Qu’était devenue notre grande image de l’Homme né de Dieu ? C’est à peine si elle se reconnaissait encore, à travers un vocabulaire qui s’était vidé de sa substance.
    Peu à peu, oubliant l’Homme, nous avons borné notre morale aux problèmes de l’individu. Nous avons exigé de chacun qu’il ne lésât pas l’autre individu. De chaque pierre qu’elle ne lésât pas l’autre pierre. Et certes elles ne se lèsent pas l’une l’autre quand elles sont en vrac dans un champ. Mais elles lèsent la cathédrale qu’elles eussent fondée, et qui eût fondé en retour leur propre signification.
    Nous avons continué de prêcher l’égalité des hommes. Mais, ayant oublié l’Homme, nous n’avons plus rien compris de ce dont nous parlions. Faute de savoir en quoi fonder l’Égalité nous en avons fait une affirmation vague, dont nous n’avons plus su nous servir. Comment définir l’Égalité, sur le plan des individus, entre le sage et la brute, l’imbécile et le génie ? L’égalité, sur le plan des matériaux, exige, si nous prétendons définir et réaliser, qu’ils occupent tous une place identique, et jouent le même rôle. Ce qui est absurde. Le principe d’Égalité s’abâtardit, alors, en principe d’Identité.
    Nous avons continué de prêcher la Liberté de l’Homme. Mais, ayant oublié l’Homme, nous avons défini notre Liberté comme une licence vague, exclusivement limitée par le tort causé à autrui. Ce qui est vide de signification, car il n’est point d’acte qui n’engage autrui. Si je me mutile, étant soldat, on me fusille. Il n’est point d’individu seul. Qui s’en retranche, lèse une communauté. Qui est triste, attriste les autres.
    De notre droit à une liberté ainsi comprise, nous n’avons plus su nous servir sans contradictions insurmontables. Faute de savoir définir dans quel cas notre droit était valable, et dans quel cas il ne l’était plus, nous avons hypocritement fermé les yeux, afin de sauver un principe obscur, sur les entraves innombrables que toute société, nécessairement, apportait à nos libertés.
    Quant à la Charité, nous n’avons même plus osé la prêcher. En effet, autrefois, le sacrifice qui fonde les Êtres prenait le nom de Charité quand il honorait Dieu à travers son image humaine. À travers l’individu nous donnions à Dieu, ou à l’Homme. Mais, oubliant Dieu ou l’Homme, nous ne donnions plus qu’à l’individu. Dès lors, la Charité prenait souvent figure de démarche inacceptable. C’est la Société, et non l’humeur individuelle, qui se doit d’assurer l’équité dans le partage des provisions. La dignité de l’individu exige qu’il ne soit point réduit en vassalité par les largesses d’un autre. Il serait paradoxal de voir les possédants revendiquer, outre la possession de leurs biens, la gratitude des non-possédants.
    Mais, par-dessus tout, notre charité mal comprise se retournait contre son but. Exclusivement fondée sur les mouvements de pitié à l’égard des individus, elle nous eût interdit tout châtiment éducateur. Alors que la Charité véritable, étant exercice d’un culte rendu à l’Homme, au-delà de l’individu, imposait de combattre l’individu pour
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