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Milena

Milena

Titel: Milena
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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grande qu’elle finit par le laisser
faire et il l’aide à donner le jour à un nouveau citoyen d’Orel. Il baigne le
marmot dans la mer et le pose, tout gigotant, sur la poitrine de sa mère. Puis
il fait un petit feu et prépare un thé pour l’accouchée. À la fin de l’histoire,
Gorki nous montre le jeune homme et la paysanne suivant les réfugiés de la
région d’Orel ; le jeune homme porte le nouveau-né, la jeune femme s’appuie
sur lui.
    Tandis que je repensais à cette nouvelle, une singulière
transformation s’opéra en moi. Je ne pus finir l’histoire. Je me mis à rêver
tout éveillée, contrainte à poursuivre le destin des deux héros de l’histoire, m’engouffrant
dans leur existence, marchant le long de la Mer Noire, sur cette côte que je
connaissais si bien – incarnation, tout à la fois, du jeune homme et de la
paysanne. Fuyant la réalité, nous trouvâmes une cabane, à l’orée d’une forêt
touffue. Elle était rassurante et confortable, elle n’était pas beaucoup plus
grande que ma cellule, elle n’avait pas de fenêtre non plus, mais une porte que
l’on pouvait ouvrir. Incarnant les deux personnages à la fois, j’éprouvais une
joie double d’avoir trouvé ce refuge, d’être sauvée. Chacun de mes jours commençait
dorénavant par un matin clair. J’avançais dans l’encadrement de la porte, regardais
la mer étincelante et respirais l’air salé. Tout allait pour le mieux. Même le
propriétaire de la cabane, un chasseur, s’instaura protecteur de notre ermitage.
Nous ne manquions pas de nourriture, prenions la vie du bon côté, nous
étendions au soleil, nagions dans la mer limpide. Ce paradis, je ne l’imaginais
pas dans ses grands traits seulement. Au contraire, tout s’y déroulait avec une
infinie précision, j’y vivais heure par heure, voire minute par minute, les différents
moments de la journée. Je devins donc incapable de m’orienter dans la réalité
temporelle du camp, ne sachant plus si nous étions le soir ou le matin, passant
les nuits éveillée parce que le chasseur viendrait nous rendre visite à la
cabane, à midi, et qu’il fallait lui préparer à manger. Comment me serais-je
encore intéressée à la ration de pain alors même que, chez nous, la table
ployait sous les mets les plus choisis ?
    Le jeune homme et la paysanne s’aimaient, c’était une idylle
sereine et tendre à la fois. Si du moins il n’y avait pas eu ce tapotement
contre le mur, dans la cellule voisine, qui me ramenait brutalement à la
réalité. Que m’importait ce que me voulait ma voisine ? Je fermais les
yeux et retournais dans les bras du jeune homme.
    Un dimanche, la porte de la cellule s’ouvrit et l’on me fit
sortir de la prison. Je détestais toute cette clarté, tout comme l’effrayante
réalité. Tout ce que je voulais était fermer les yeux et retourner à mes
rêveries. Sans l’aide de Milena, j’aurais été perdue. Elle saisit immédiatement
à quel danger je me trouvais exposée, car les détenues souffrant de troubles
mentaux étaient tuées. Elle me conduisit à un bloc de malades où elle me confia
à la garde d’une Blockälteste tchèque. Manifestant à mon égard une patience
débordante, elle venait me voir dès qu’elle pouvait s’esquiver de l’infirmerie
et se faisait inlassablement raconter la vie de mes héros au bord de la mer. C’est
ainsi qu’elle me permit de revenir lentement à la réalité du camp.
    *
    Par la suite, j’appris comment elle avait pu parvenir à me
rendre visite au bâtiment cellulaire, quel risque elle avait pris pour moi. Trois
semaines durant, elle attendit en vain mon retour du bunker. Chaque jour
renforçait sa crainte que l’on ne m’y laisse mourir. Elle prit donc une
résolution héroïque. Elle demanda audience à Ramdor, l’homme de la Gestapo, allant
se jeter droit dans la gueule du loup. Ramdor la reçut dans son bureau. Il s’attendait
vraisemblablement qu’elle vienne pour quelque dénonciation. C’était malheureusement
le genre de choses qui existait aussi au camp. « Je voudrais vous parler
de mon amie Grete Buber. Elle est au bunker », commença Milena. Toute
autre détenue aurait eu bien du mal à terminer cette phrase sans que Ramdor ne
lui administre au moins une gifle. Mais l’homme de la Gestapo subit sans doute
d’emblée son ascendant. Il lui jeta un regard étonné et la laissa poursuivre :
« Si vous me promettez que Grete Buber sortira vivante du bunker
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