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Milena

Milena

Titel: Milena
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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porte, éteignait la lumière sans me laisser le temps d’exprimer
une demande quelconque – de la prier, par exemple, de me donner un petit
morceau de pain. Oui, les Témoins de Jéhovah remplissaient correctement les
tâches qui leur étaient assignées au camp. S’il leur arrivait de prendre des
risques, ce n’était que pour le compte de Jéhovah, pas pour celui d’une de
leurs codétenues.
    Pourtant, un matin, avant l’heure à laquelle le pain était
habituellement distribué (je m’étais vu infliger une peine supplémentaire de
trois jours de privation de nourriture pour avoir parlé sans autorisation et
étais couchée, à demi inconsciente, sur le sol), la trappe de la porte s’ouvrit
et une voix pleine d’excitation murmura : « Grete, viens vite, je t’apporte
quelque chose de la part de Milena ! » Je rampai vers la porte à
quatre pattes, me levai à tâtons et le Témoin de Jéhovah sortit de l’échancrure
de sa robe un petit paquet tout chiffonné qu’elle me tendit en tremblant :
« Prends vite, Milena t’envoie mille saluts. Mais cache ça, pour l’amour
de Dieu ! » La trappe retomba, je me tapis sur le sol, le visage
inondé de larmes. Milena ne m’avait pas oubliée. Elle m’envoyait une poignée de
sucre, du pain et deux gâteaux qu’elle avait prélevés sur un paquet reçu de
chez elle…
    Même dans les conditions normales de détention dans un camp
de concentration, les rêves jouent un rôle important ; il est intéressant
de constater, d’ailleurs, qu’en détention on a bien plus souvent des rêves
beaux et heureux qu’en liberté, et les images qui y surgissent sont très souvent
pleines de couleurs. Mais, dans l’obscurité de la cellule, je découvris une
nouvelle forme de rêve, le rêve éveillé, grâce auquel je m’évadais de la
réalité, non pas pour revenir au camp, mais pour recouvrer la véritable liberté.
    Je retrouvai ainsi, un jour, une liberté qui était, curieusement,
à demi voilée d’obscurité. Je courais, le cœur battant, pleine d’espoir, parmi
les rues étroites de Berlin ; j’étais très pressée car le train pour
Prague allait partir et Milena m’attendait. J’entrais dans un magasin sombre où
l’on trouvait, outre des montagnes de livres, des reproductions de nos tableaux
favoris : des Breughel avec leurs couleurs douces, des paysages
impressionnistes avec leur lumière tremblante, et je feuilletais, fouillais, choisissais,
m’étourdissant de la profusion de tous ces objets, achetais tout ce qui me
tombait sous la main. Dans le magasin d’à côté, j’acquis une robe de chambre
garnie de fourrure. La fourrure avait la couleur de la cannelle, tantôt claire,
tantôt sombre, elle était faite de petits morceaux assemblés, comme ces
fourrures magiques que l’on rencontre dans les contes de fées. J’en sentais la
chaleur, la délicatesse et savais qu’elle pouvait guérir, qu’elle permettrait à
Milena de se rétablir, qu’elle la maintiendrait en vie. Chargée de mes trésors,
je courais à la gare. Le train était déjà là, mais je me précipitais au kiosque
pour acheter une brassée de revues pleines de couleurs. Je percevais, tout
autour de moi, les bruits de la gare et me pénétrais de toutes les rumeurs du
voyage que j’aime tant… puis tout s’en alla en poussière. La lumière s’alluma, la
porte de la cellule s’ouvrit.
    Quatorze jours plus tard environ, à l’aube, avant que ne se
réveille le bâtiment cellulaire, la trappe de la porte métallique s’ouvrit à nouveau
doucement et le Témoin de Jéhovah me tendit un petit paquet. Elle était hors d’haleine,
son visage était défait ; elle murmura : « Grete, je t’en
supplie, est-ce que je puis dire à Milena que tu ne souhaites plus recevoir des
paquets comme celui-là parce que c’est trop dangereux ? Je t’en prie, est-ce
que je peux lui dire cela de ta part ? » Elle était là, toute
tremblante, en proie à un effroi si pitoyable que je ne pus que lui répondre :
« Oui, j’interdis à Milena de continuer à envoyer quoi que ce soit ! »
Je n’avais besoin de rien. Qu’elle soit là, qu’elle vive – cela suffisait à mon
salut.
    Par la suite, au terme de quinze semaines passées dans l’obscurité,
Milena me raconta comment elle avait fait pression sur les deux femmes de peine.
Elle les avait suppliées plusieurs fois en vain, sur l’allée du camp, de m’apporter
du pain mais elles avaient catégoriquement
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