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Marc-Aurèle

Marc-Aurèle

Titel: Marc-Aurèle
Autoren: Max Gallo
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posthume n’imagine pas que chacun de ceux qui se souviendront de lui mourra lui aussi très vite, puis, à son tour, celui qui aura pris sa place ; jusqu’à ce que son souvenir s’éloigne définitivement, il passe ainsi de l’un à l’autre, flambeaux qui s’allument et puis s’éteignent. Priscus, écoute-moi, suppose immortels ceux qui se souviendront de toi, et immortel ton souvenir ; à quoi cela te sert-il ? Et je ne veux pas dire qu’au mort cela ne sert à rien : au vivant, à quoi sert la louange ? À moins sans doute qu’elle ne soit utile pour gouverner. »
    Un soir, Marc Aurèle m’avait saisi le poignet, l’avait serré affectueusement, m’avait attiré contre lui pour me donner l’accolade. Son visage au nez bosselé, la moue de sa bouche accentuée par la moustache qui rejoignait son collier de barbe, m’avaient paru grisâtres. Son regard cherchait à découvrir et à atteindre un point lointain, visible de lui seul.
    Il avait murmuré :
    « Bientôt j’aurai tout oublié ; bientôt, tous m’auront oublié. »
     
    Dans ma solitude de Capoue, maintenant que depuis trois ans Marc Aurèle était mort, me souvenir de cette phrase prononcée d’un ton las était pour moi une souffrance.
    Je m’insurgeais contre ce fatalisme de l’oubli, cette abdication.
    La mémoire pouvait garder en vie ceux qui avaient disparu.
    Par son récit de la Guerre servile, mon ancêtre Gaius Fuscus Salinator avait ressuscité Spartacus et son troupeau d’esclaves en révolte.
    Dans les Annales de sa vie, Serenus avait prolongé le règne de Néron et la guerre de Judée jusqu’à moi. Il me semblait, après l’avoir lu, connaître Néron, Vespasien, Titus et Domitien. Je croyais avoir assisté aux côtés de Flavius Josèphe, – ce Juif fidèle à sa foi mais qui avait trahi son peuple dressé contre nos légions – à la destruction du Temple de Jérusalem et au suicide des sicaires dans leur forteresse de Massada. J’avais connu la reine juive Bérénice.
    Serenus, mon aïeul, était mort depuis plus de cent ans, mais je savais tout de lui parce qu’il s’était confié dans ses Annales dont, presque chaque nuit, je relisais quelques passages.
    Je ne voulais plus me souvenir de ces propos de Marc Aurèle, tenus peu de mois avant sa mort, à chaque fois qu’il me voyait saisir l’un de ces livres que lui-même avait si souvent médités. Il secouait la tête, soupirait :
    « Rejette ta soif de lecture, Priscus, murmurait-il. Ne vagabonde plus. Tu n’as plus le temps de relire tes notes, ni l’histoire ancienne des Romains et des Grecs. Laisse là Plutarque, Tacite ou Suétone, oublie les traités que tu réservais pour tes vieux jours. Laisse là tes livres, ne te laisse plus distraire. Va droit au but : dis adieu aux vains espoirs… »
     
    Je m’y refusais. J’étais au contraire tenté d’écrire à mon tour pour maintenir vivant ce que j’avais connu, arracher au tombeau de l’oubli Marc Aurèle, démentir ainsi ce qu’il avait prévu et peut-être redouté.
    Je voulais découvrir ce qui, dans sa vie, m’avait sans doute échappé, cette faute qu’il avait commise aux yeux des dieux et dont le règne de Commode, ce fils histrion, Néron sans démesure, constituait le châtiment.
    Il me fallait ressusciter ces années passées.
     
    Ce mot, ressuscité , je le murmurais avec émotion.
    Je le recherchais dans les Annales de Serenus qui évoquait les adeptes de la nouvelle religion.
    Ils croyaient à la résurrection des morts, à un dieu, Christos, crucifié mais renaissant de son tombeau, annonçant à ses disciples la Grande Nouvelle, à savoir que la mort n’était pas le terme de la vie, mais un passage vers une existence éternelle, offerte à ceux qui croiraient en lui et suivraient ses préceptes.
    Serenus avait écouté les adeptes de la nouvelle foi et osé écrire, lui, citoyen romain, ami de Sénèque, vivant dans l’entourage de Néron, de Vespasien et de Titus, qu’il priait ce dieu nouveau, ce dieu unique, Père, Fils et Esprit.
     
    À chaque fois que je relisais ces phrases et tombais sur ces mots de ressuscité et résurrection , c’était comme si mon corps était parcouru par un tremblement. Ma mémoire s’ouvrait comme une terre qui se fend.
    J’avais moi aussi rencontré des disciples de Christos. J’avais été témoin de leur martyre.
    Comment avais-je pu enfouir en moi leurs souffrances, le souvenir de leurs supplices ?
    Et Marc
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