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Marc-Aurèle

Marc-Aurèle

Titel: Marc-Aurèle
Autoren: Max Gallo
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1
    À la vue du nouvel empereur de Rome, Commode, j’ai éprouvé dégoût et désespoir.
    Il riait, allongé à côté de l’une des tables basses de la taverne qu’il avait fait installer dans la plus grande des salles du Palais impérial.
    Il tendait le bras, ramassait les dés, les relançait, et autour de lui, femmes et jeunes gens, maquillés, épilés, le visage blanc de poudre, les yeux cerclés de noir, les lèvres rouge sang, les cheveux parfois bleus ou couverts de paillettes d’or, s’exclamaient et le félicitaient.
    Ils se penchaient, ensevelissaient Commode sous leurs corps à demi dénudés, et le rire de l’empereur devenait plus grave, comme le grognement d’un félin qu’on caresse et excite du bout des ongles.
    Brusquement, Commode se redressait, écartait les corps, ne gardant contre sa poitrine qu’une femme et un adolescent dont il serrait le cou dans la saignée de chaque bras, si bien que cette prostituée et cet amant se débattaient, piégés, étouffés ; puis il les entraînait dans la pénombre, suivi par la troupe de ses courtisans, de ses putains qui renversaient tables et lits, bousculaient les esclaves dans leur hâte à rejoindre Commode et partager sa couche dans l’une des chambres voisines.
     
    Je suis resté dans la salle du palais, devenue bouge et lupanar.
    Ici j’avais écouté la voix sourde, souvent teintée d’ironie, de Marc Aurèle, celui qu’au jour de ses obsèques on avait proclamé « Dieu propice » et que, tout au long de son règne de dix-neuf années, on avait appelé le Sage, le Philosophe.
    Dans ce palais aujourd’hui souillé, et alors que la maladie creusait ses traits, blanchissait sa barbe bouclée, il m’avait dit :
    — Ne maudis pas la mort, Priscus, mais fais-lui bon accueil, puisqu’elle est au nombre de ces phénomènes que veut la Nature. La dissolution de notre être est un fait aussi naturel que la jeunesse, la vieillesse, la croissance, la pleine maturité…
    Et la voix de ce sage, de celui que, selon son âge, on appelait « Marc mon père », ou « Marc mon frère », ou encore « Marc mon fils », de cet honnête homme qui avait voulu gouverner pour le bien du genre humain, était à présent recouverte par les gloussements de ces putains, de ces eunuques, de ces pervertis, et par les râles de plaisir du nouvel empereur de Rome, Commode, le propre fils de Marc Aurèle.
     
    Un fils ? Un débauché cruel, un « Néron chauve », ainsi qu’on le surnommait parfois, un histrion qui aimait à combattre dans l’arène, tenir les rênes d’un char lors d’une course au Circus Maximus.
    Il se vautrait dans les perversions, renversait le pouce pour qu’on égorgeât les combattants vaincus.
    Un fils, lui dont on murmurait, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent : « Ce n’est pas un prince, ce n’est qu’un gladiateur ; non, ce n’est pas là le fils de Marc Aurèle ? »
    Mais ce dernier l’avait reconnu pour enfant légitime issu du ventre de son épouse Faustine.
    Qui pouvait néanmoins le croire ?
     
    J’avais observé Commode alors qu’il n’était qu’un jeune garçon.
    Il repoussait les maîtres d’études. Il dansait, chantait, sifflait, jouait à la perfection au bouffon et au gladiateur. Il brisait les coupes en les lançant à la tête des esclaves dans ses explosions de fureur.
    Je le savais dépravé déjà, pervers, cruel, et l’un de ses précepteurs m’avait confié : « Sa bouche, Julius Priscus, connaît déjà les souillures et le stupre », puis, baissant encore la voix, il avait ajouté, rempli d’effroi : « Il a la cruauté d’une divinité du Mal. »
    J’avais appris que, séjournant dans l’une des villas impériales, au bord de la mer, et ayant trouvé l’eau de son bain trop tiède, Commode avait exigé qu’on jetât l’esclave préposé à l’entretien du feu dans la chaudière. Le pédagogue qui avait reçu cet ordre avait fait brûler dans le four une peau de mouton pour que la fumée nauséabonde fit croire à Commode qu’on lui avait obéi.
    Tel était le fils de Marc Aurèle !
    De l’homme que j’avais entendu un jour, alors que sa vue faiblissait et que la lecture l’épuisait, dire : « Il ne m’est plus permis de lire, Priscus. Mais il m’est toujours permis de repousser de mon cœur la violence ; il m’est toujours permis de mépriser le plaisir et la peine ; il m’est toujours permis d’être supérieur à la
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