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Mademoiselle

Mademoiselle

Titel: Mademoiselle
Autoren: Jacqueline Duchêne
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l'empereur quadragénaire planait encore dans sa tête. Mais elle dut reconnaître qu'il était fort doux d'être en France, dans cette salle splendide, honorée comme la première du royaume. Et que ses deux cousins, Louis et Charles, l'enfant et le jeune homme, étaient beaux à regarder ! Les heures s'écoulaient, rapides et exaltantes pour Ame-Louise.
    Elle voyait comme en un rêve merveilleux les machines du théâtre réglées par Torelli amener, remmener sur leurs nuages ou dans leurs chars les Parques, les Grâces, l'Amour et Vénus. Elle entendait comme dans un brouillard enchanté les lamentations d'Aristée, l'amoureux trahi, ou les chants heureux d'Orphée et d'Eurydice. Parce qu'elle était au comble du bonheur, la musique de Luigi Rossi, si étrange aux oreilles des spectateurs habituées aux airs de cour brefs et aux récitatifs enlevés des ballets, la charmait.
    Autour d'elle, c'était différent. Les courtisans piquaient un à un du nez, endormis par cette musique qu'ils ne reconnaissaient pas, ennuyés par ces chants en italien qu'ils ne comprenaient pas. Ils s'efforçaient de faire bonne mine, maugréant intérieurement contre le Mazarin qui leur infligeait pareille séance de torture. Mme de Motteville avait les traits crispés à force de vouloir se tenir éveillée.
    À la sortie, quel soulagement ! Chacun y alla de son admiration de complaisance. Personne ne songeait à reconnaître l'ennui qu'il avait éprouvé.
    — Malheureux Orphée, persifla pourtant le conseiller d'Ormesson. Morphée, devrait-on dire...
     
    Le zèle de Saujon alla trop loin. Dès qu'il apprit que l'empereur se remariait à une princesse du Tyrol, il se rabattit sur l'archiduc d'Autriche, voulut manigancer le mariage de Mademoiselle avec lui, fit plusieurs voyages, écrivit beaucoup, bref en fit tant que Mazarin, ulcéré, sévit. Le 6 mai, Saujon fut arrêté.
    En arrivant chez son père au Luxembourg, Anne-Louise affecta beaucoup de désinvolture.
    — Qu'est-ce que j'apprends ? demanda-t-elle bien haut à sa belle-mère. Saujon est à la Bastille. Et à cause de moi, prétend-on ? Cette affaire est ridicule.
    Ridicule peut-être, mais préoccupante. Mazarin noircissait à l'envi la jeune fille auprès de la reine, les courtisans cancanaient, l'opinion publique, chatouilleuse sur la loyauté de ses gouvernants, se passionnait pour le possible mariage de la première princesse du royaume, et la plus riche, avec un ennemi.
    — Une honte ! Elle avait déjà, paraît-il, le projet de se rendre sur la frontière.
    — Mais non, c'est un coup monté, une affaire de gros sous. Elle a demandé à disposer de son bien, l'héritage de sa mère, l'héritage énorme des Montpensier. La Rivière faisait des difficultés. Elle l'a appelé « coquin ». Alors, avec Saujon, il a inventé cette comédie de mariage autrichien pour la discréditer.
    — D'ailleurs que lui rapporterait ce mariage avec un archiduc ? Elle peut avoir beaucoup mieux.
    Les ragots couraient. Mazarin, en équilibre précaire, trop aimé de la régente, trop haï du public, s'en serait bien passé. Anne-Louise faisait mine de ne rien entendre, mais, dès le 7, elle fut convoquée chez la reine, dans la grande galerie.
    En présence de Gaston, dont le visage fermé ne présageait rien de bon, elle dut essuyer une violente remontrance d'Anne d'Autriche, qui l'accusa — dans l'ordre — d'intelligence avec les ennemis de l'État, de vouloir se marier sans l'approbation de son père, de leur manquer à tous deux de respect.
    La colère du duc d'Orléans enflait à mesure que la souveraine parlait. Il n'eut pas de peine à prendre le relais de sa belle-sœur pour accabler la jeune fille.
    C'en était trop. Consciente de sa faiblesse, mais blessée par ces si vives attaques, Anne-Louise riposta avec courage.
    — Je n'ai pas failli à l'honneur. Je n'étais pas au courant des projets dont vous m'accusez.
    — Quelle assurance, Mademoiselle !
    — On en a beaucoup quand on soutient la vérité.
    — Il n'empêche. Vous serez responsable de la mort de Saujon, s'il est conduit à l'échafaud.
    Alors, se remémorant les nombreux serviteurs qu'Anne d'Autriche et Gaston avaient naguère sacrifiés à leurs intérêts, elle répliqua perfidement : « Au moins ce sera le premier. »
    Le duc et la reine étaient verts de rage.
    Oubliant la crainte qu'ils devaient lui inspirer, elle se tourna vers son père :
    — Vous auriez déjà dû, Monsieur, vous occuper de
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