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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune
Autoren: Sue Harrison
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pourraient bien lui faire qu'ils ne lui avaient déjà fait? Elle n'était rien. Comment les esprits pouvaient-ils faire du mal à rien?
    Elle resta là, debout, jusqu'à ce que son père, ayant suffisamment hurlé, lui assène un dernier coup sur la tête avant de ranger son bâton dans la niche pratiquée dans le mur de terre de l'ulaq. Après quoi il gagna sa chambre sans un regard pour sa fille. Celle-ci ramassa la dent de baleine et la glissa sous son suk, à l'intérieur de la ceinture de son tablier d'herbe tissée. La dent demeura là, lisse et chaude contre sa peau.
    2
    C'était la nuit. La fille de Coquille Bleue était fatiguée. Tout le monde dormait et, comme elle aimait travailler seule dans la pièce commune, elle décida d'œuvrer encore un peu au panier qu'elle était en train de tisser.
    Ses côtes lui faisaient mal chaque fois qu'elle respirait profondément et, la journée durant, elle avait eu l'impression de manquer d'air. Elle plongea la main dans le panier à eau et ferma les yeux tandis qu'elle humectait une touffe d'herbe du bout des doigts.
    Quand elle tissait, la fumée des lampes à huile s'attardait autour d'elle et lui piquait les yeux qui devenaient secs et la démangeaient.
    Elle sentit la présence de son père avant de le voir, une lourdeur soudaine de l'air, son odeur d'huile et de poisson. Elle ouvrit les yeux et le vit debout devant elle, sa canne en travers du corps comme s'il se préparait à l'attaque. Il posa les yeux sur son ouvrage.
    — Il me faut ce panier, dit-il. Ne dors pas avant de l'avoir achevé.
    La fille de Coquille Bleue affronta son regard tout en essayant de cacher sa peur. C'était un panier à réserves. Bon pour le poisson séché, les baies et les racines. Son père n'en avait nul besoin.
    Elle avait envie de lui rétorquer que ce n'était qu'un panier de femme, que ceux de sa mère étaient beaucoup plus beaux que les siens. Elle ouvrit la bouche mais les mots se bloquèrent dans sa gorge et aucun son ne sortit. Au prix d'un extraordinaire effort, elle réussit à dire :
    — A-a-a-a-a...
    C'était le bruit du vide qui logeait en elle. Les autres avaient des esprits; les autres avaient des mots.
    — Travaille toute la nuit s'il le faut, ordonna Oiseau Gris.
    La fille de Coquille Bleue inspira profondément, essayant de chasser l'idée du vide en elle. Elle ouvrit la bouche et commença, lentement :
    — N-n-non.
    Elle vit la surprise dans les yeux de son père. Quand lui avait-elle jamais opposé un refus? Son père la fixa un instant du regard mais n'ajouta rien. Il ricana et donna un coup de pied dans l'herbe du sol avant de retourner se coucher.
    La fille de Coquille Bleue attendit. Une fois qu'elle l'eut entendu enfiler sa robe de nuit, elle forma à nouveau le mot dans sa bouche, un mot fort et rond contre sa langue :
    — Non, murmura-t-elle. Non.
    Elle sentit le pouvoir du monde comme ce mot s'installait en elle.
    Elle se leva et, au moment où elle se pencha pour ramasser le panier à demi tressé, quelque chose se mit à couler le long de sa cuisse.
    Malgré l'obscurité, elle sut. Du sang.
    Elle avait son premier sang. Elle était une femme. Une femme ! Même sans esprit, même sans âme, elle avait reçu le présent du sang. Comment était-ce possible ?
    Peut-être était-ce ce mot, dit à son père. Mais qu'est-ce qui lui avait donné le courage de lui tenir tête? Elle lissa ses mains sur son suk, sur le petit renflement de ses seins. Elle sentit la dent de baleine bouger contre son flanc. Oui, bien sûr, c'était la dent.
    Samig s'inclina sur l'hameçon en os qu'il façonnait. Sa mère nourrissait sa petite sœur, Mésange, tout en passant de l'huile de phoque dans les cheveux de son mari.
    Samig lança un regard à son frère Amgigh qui le menaça en silence. Samig tourna la tête comme s'il n'avait rien remarqué. Je suis un chasseur, se rappela-t-il tandis qu'il sentait monter la colère, si coutumière. Ce printemps, il avait déjà pris trois phoques. Il n'avait nul besoin de répondre à la folie de son frère.
    Samig l'avait toujours emporté sur Amgigh, qu'il s'agisse d'un jeu requérant de la vivacité d'esprit ou de la force physique. Si Amgigh était plus grand que Samig, il était très mince et se fatiguait vite. Pourtant, il possédait une véhémence, une détermination que Samig admirait. Même lorsque Samig battait haut la main Amgigh à la course, Amgigh ne s'arrêtait jamais avant d'avoir franchi la ligne d'arrivée.
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