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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune
Autoren: Sue Harrison
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Qakan semblait s'intéresser à autre chose qu'à la nourriture étaient lorsque leur père traitait avec des marchands.
    Elle entendait son père glousser, presque comme une femme ; cela signifiait qu'il jouait désormais sur la compassion du marchand : pauvre homme qui tâchait de nourrir sa famille. Voilà ce qu'on gagnait à se montrer généreux, à avoir le cœur tendre.
    — C'est ma fille; c'est sa faute.
    Oiseau Gris entreprit de conter, comme toujours, l'histoire ressassée tant et plus.
    — Que pouvais-je faire? J'ai une bonne épouse. Elle ne voulait pas abandonner sa fille. Elle m'a supplié. Je pouvais être tué à la chasse ou ne pas survivre assez longtemps pour avoir un fils. Alors j'ai laissé vivre cette fille.
    Et il poursuivit. Oui, il avait refusé de nommer sa fille; oui, il lui avait refusé un nom et une âme. Mais qui pouvait le lui reprocher? N'avait-elle pas forcé son chemin pour passer avant les fils qui auraient pu naître, cette fille avide, née les pieds devant, se frayant ainsi un chemin dans le monde?
    Chaque fois qu'Oiseau Gris racontait cette histoire, la fille de Coquille Bleue sentait croître le vide en elle. Il aurait mieux valu que sa mère la donnât au vent. Peut-être son père l'aurait-il nommée. Elle aurait trouvé la route jusqu'aux Lumières Dansantes et peut-être y serait-elle aujourd'hui, avec les autres esprits.
    Oui, cela aurait été préférable à une vie entière dans l'ulaq de son père. Aucun chasseur ne la voudrait; aucun homme ne paierait la dot pour une femme sans âme. Les hommes voulaient des fils. Sans âme pour se mêler à la graine d'un homme, comment pouvait-elle apporter un enfant ?
    En outre, songea-t-elle, j'ai quinze étés, peut-être seize, pourtant je n'ai pas encore connu le sang. Je suis une femme et je ne suis pas une femme ; je suis privée d'âme, privée du sang des femmes.
    Et elle se souvint d'une des rares fois où sa mère avait tenu tête à Oiseau Gris. Exaspérée, Coquille Bleue s'était écriée :
    — Comment puis-je savoir pourquoi cette fille n'a pas de flux de sang ! C'est toi qui refuses de lui donner un nom. Comment un père peut-il espérer qu'une fille sans nom saigne? Qu'est-ce qui saignera? Cette fille n'a pas d'âme.
    — C'est la faute de Kayugh, avait rétorqué Oiseau Gris en geignant à la manière de Qakan.
    — Il a promis son fils. Il te donnera une dot...
    Les paroles de Coquille Bleue avaient été interrompues par le claquement sec d'une forte gifle.
    — Il n'a pas d'honneur, avait craché Oiseau Gris. Il ne tient pas ses promesses.
    Puis, Oiseau Gris s'était mis à hurler, traitant Coquille Bleue de tous les noms horribles qu'il réservait d'ordinaire à sa fille.
    Honteuse, la fille de Coquille Bleue s'était recroquevillée dans l'endroit où elle dormait. Et même la couverture d'herbe qu'elle avait tirée sur sa tête ne la protégeait pas des paroles furieuses de ses parents.
    Pourtant, plus tard dans la nuit, une fois la dispute apaisée, elle se rappela ce qu'avait dit sa mère. Kayugh offrirait une dot. Kayugh avait promis un fils-
    Un fils! Quel fils! Amgigh ou Samig? Tout en comprenant qu'elle n'avait aucun droit de poser la question, elle avait envoyé une supplique à leur montagne Tugix : Fais que ce soit Samig. Au fond d'elle-même, en cet endroit vide réservé à son âme, elle avait senti comme une petite étincelle. Au matin, cette petite étincelle s'était muée en flamme si forte qu'elle n'en supportait pas l'éclat : épouse de Samig. Epouse de Samig. Épouse de Samig.
    Soudain, le rideau de sa chambre s'écarta brusquement. La fille de Coquille Bleue recula contre le mur. Au cours des trois dernières années, son père avait réussi à l'échanger à cinq ou six reprises. Chaque fois, elle avait lutté, et le lendemain son père ajoutait ses coups à ceux des marchands. À présent, c'était Qakan qui l'observait en rotant et en se frottant la panse.
    — Tu as de la chance, aujourd'hui, lança-t-il sans la moindre compassion dans le regard. Tu vas dormir seule. Notre père est un piètre négociant...
    Le rideau retomba et la fille de Coquille Bleue poussa un soupir de soulagement. Une nuit seule, une nuit pour dormir... Elle s'attacherait à ne pas penser à l'été qui s'annonçait avec la visite des commerçants. Ce soir, elle était seule.
    Amgigh palpa le nodule d'andésite. Il comptait le fendre en deux d'un coup de son plus gros percuteur. Il obtiendrait de
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