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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune
Autoren: Sue Harrison
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promesse. Il dit que tu devrais trouver une autre épouse pour Amgigh.
    Quand elle se fut éloignée, Kayugh fit les cent pas dans l'ulaq.
    — Tu ne peux le changer, époux, remarqua Chagak. Oiseau Gris sera toujours Oiseau Gris.
    — Longues Dents avait raison. J'aurais dû laisser cette enfant mourir. Maintenant, je ne puis respecter ma promesse car je ne puis donner à mon fils une épouse sans âme. Qui peut dire les esprits qui viendront habiter le vide qu'elle porte en elle ?
    Chagak se tut longuement. Lorsque Kayugh s'assit enfin, elle alla dans la réserve de nourriture d'où elle lui rapporta un morceau de poisson séché.
    — Il existe une chance qu'Oiseau Gris se décide à lui donner un nom, dit-elle à Kayugh. Peut-être s'apercevra-t-il qu'un enfant sans nom constitue une malédiction pour son ulaq; ou peut-être la nommera-t-il s'il pense qu'il peut en tirer un bon prix comme épouse.
    Kayugh esquissa un demi-sourire où Chagak sut lire la frustration.
    — Oiseau Gris la laissera donc vivre. Et il sait que, chaque fois que je verrai sa fille, je me rappellerai qu'il tient sa promesse tandis que je suis incapable de tenir la mienne.
    PRINTEMPS 7039 AVANT J.-C. île de Chuginadak, îles Aléoutiennes
    1
    La lumière des lampes à huile de phoque se refléta dans les yeux brillants du marchand. La fille de Coquille Bleue frémit.
    — Bonne façon de profiter de la nuit, dit le père en avançant la main pour soupeser le sein gauche de sa fille. Un estomac de phoque plein d'huile.
    La fille de Coquille Bleue retint son souffle mais s'obligea à regarder l'homme, s'obligea à croiser son regard. Parfois, cela marchait. Parfois, les marchands voyaient le vide dans ses yeux, ils voyaient ce que son père ne voulait pas leur dire : qu'elle n'avait pas d'âme. Et une femme sans âme — qui peut dire de quoi elle est capable? Peut-être arracher des morceaux de l'esprit d'un homme au moment où il se perd dans la joie de ses cuisses.
    Mais les yeux de l'homme étaient ternes. Ils ne disaient que son envie de la toucher. Et la fille avait peur qu'il ne voie que la peau de ses bras et de ses jambes, luisante d'huile, et ses longs cheveux noirs. Rien de plus.
    — Elle est belle, insista Oiseau Gris. Regarde, bons yeux sombres, bon visage rond. Pommettes saillantes sous la peau. Petites mains, petits pieds.
    Il ne dit rien de sa bouche, de la façon dont les mots en sortaient brisés, hachés.
    Le marchand passa sa langue sur ses lèvres.
    — Un estomac de phoque?
    Il est jeune, songea la fille de Coquille Bleue. Son père aimait traiter avec des hommes plus jeunes. Ils pensaient davantage à leurs reins qu'à leur ventre.
    — Quel est son nom ? s'enquit le marchand.
    La fille de Coquille Bleue se mordit les lèvres, mais son père éluda la question.
    — Un estomac de phoque, dit-il. En général, j'en demande deux.
    Le marchand plissa les yeux.
    — Elle n'a pas de nom? demanda-t-il en riant. Une poignée d'huile pour la fille.
    Le sourire d'Oiseau Gris s'effaça.
    Le marchand rit de nouveau.
    — Quelqu'un m'a parlé de ta fille, reprit-il. Elle ne vaut rien. Elle n'a pas d'âme. Comment savoir si elle ne va pas me voler la mienne ?
    Oiseau Gris se tourna vers la fille. Elle plongea mais pas assez vite pour éviter qu'une main s'abatte violemment sur le côté de son visage.
    — Tu ne vaux rien, lança-t-il.
    Oiseau Gris sourit au marchand et lui désigna une pile de peaux de phoque.
    — Assieds-toi, dit-il avec douceur.
    Mais la fille de Coquille Bleue remarqua ses lèvres serrées et sut qu'il se mordrait bientôt l'intérieur des joues jusqu'à s'en arracher la peau tendre. Elle l'avait déjà vu cracher des caillots de sang après une mauvaise séance de troc.
    La fille recula contre l'épais mur de terre de l'ulaq et se faufila jusqu'à l'endroit où elle dormait. Elle attendit que les deux hommes soient absorbés dans leur marchandage pour se glisser derrière la cloison d'herbe tissée qui séparait sa chambre de la pièce principale de l'ulaq. Elle percevait encore la voix de son père, maintenant faible et suppliante, tandis qu'il proposait les paniers fabriqués par sa mère et les peaux des lemmings pris au piège par son frère Qakan.
    Elle savait qu'elle trouverait Qakan assis dans un coin, en train de manger, la graisse dégoulinant de son menton sur son gros ventre, ses petits yeux clignant trop souvent, ses doigts fourrant la nourriture dans sa bouche. Les seuls moments où
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